DÉSERT MÉDICAL, URGENCES : Y AURAIT-IL DES SOLUTIONS ?

Il vient de quitter son poste de trésorier du Conseil National de l’Ordre des Médecins. C’est ce qui lui permet de s’exprimer désormais en toute liberté sur un sujet, la médecine, qui lui tient à cœur depuis quelques décennies. La parole de Jackie Ahr est légitimée par son expérience, riche et surtout passionnée. Il a exercé comme médecin généraliste avant d’intégrer le Centre de Transfusion Sanguine de Reims. C’est là qu’il a fait l’essentiel de sa carrière. A plein temps jusqu’aux 65 ans de sa retraite …et pendant des années encore pour prendre des gardes quand il le fallait. Pas étonnant qu’il préconise le recours aux retraités pour faire revivre les déserts médicaux. Mais ses réflexions vont plus loin, au risque de déranger.

On évalue à 4 ou 5000 le nombre de généralistes qui seraient prêts à poursuivre leur activité à temps partiel. “Mais ceux qui s’y collent jettent souvent l’éponge, explique Jackie Ahr, parce qu’ils perdent pratiquement l’intégralité de ce qu’ils gagnent en cotisations : Urssaf, assurance professionnelle et cotisation retraite forfaitaire représentent des sommes impressionnantes.” Toutes les propositions d’aménagements qui ont été demandées au gouvernement, parfois relayées par les députés, n’ont bizarrement jamais été suivies des faits. “Mon interprétation, commente le sage, c’est que cette solution résoudrait le problème, au moins momentanément, en éteignant de surcroît la grogne des français contre les médecins. Grogne entretenue par un discours dominant qui les accuse de ne pas vouloir aller s’installer là où on a besoin d’eux et notamment à la campagne. Ce qui est ridicule. A Paris c’est dans le centre qu’il manque le plus de médecins. Mais comment financer un cabinet dans le 16ème avec une consultation à 25 euros ? “ Mais revenons en aux retraités. Ils seraient donc susceptibles de sauver les désertes médicaux ?

LES RETRAITÉS  A LA RESCOUSSE

“Tout le monde sait que c’est possible. Le public et les médias reprocheraient au gouvernement de ne pas y avoir pensé plus tôt, c’est pour ça qu’il ne fait rien. C’est la solution pour les 7 à 8 années qui viennent. Si on attend 3 ans ce sera trop tard. Le vivier de retraités ne sera plus le même. Là on dispose d’une génération de praticiens qui a toujours beaucoup travaillé. Ceux qui arrivent derrière n’ont pas la même culture.” Dans le monde médical rêvé de Jackie Ahr, les généralistes retraités ou sur le point de l’être (un tiers de effectifs), seraient donc prêts à se déplacer deux ou trois jours par semaine et même à la campagne, pour y exercer une médecine de petite urgence qui ne nécessite pas d’équipement technique lourd. “Le problème, c’est qu’un médecin généraliste seul dans son coin sans radio ni labo, il est mort.” La solution consisterait alors à installer des cabinets médicaux bien situés, ce qui existe déjà, où des spécialistes viendraient consulter deux ou trois fois par semaine. L’exemple de l’hôpital de Rethel vient étayer le discours : le directeur a préféré céder son service de chirurgie au groupe Courlancy plutôt que de le fermer. Les praticiens viennent de Reims pour opérer dans cet établissement ardennais excentré. L’activité et les emplois ont été maintenus. Se profile alors une forme de révolution culturelle qui consisterait à réduire le fossé entre l’hôpital et la médecine de ville.”Il était moins marqué, se souvient Jackie Ahr, à l’époque où les chefs de service exerçaient en milieu hospitalier à temps partiel, à l’hôpital le matin, dans leur cabinets l’après midi, du coup le lien existait. L’arrivée du temps plein obligatoire instauré pour relever le niveau des hôpitaux a changé la donne. Un patient envoyé du privé vers l’hôpital est “perdu” pour le médecin de ville. Pire encore, l’hôpital recommence le bilan sanguin qui a été fait en ville, et réciproquement. Aucune confiance réciproque. Et ce qui a tout aggravé, c’est le secteur privé de l’hôpital : la transmission par compagnonnage a disparu. Le patron ne tient plus la main de l’étudiant parce qu’il passe son temps à recevoir sa clientèle privée dans son service . Que les patrons soient hospitaliers à plein temps, passe encore, mais que tous les praticiens le soient, c’est ridicule.”

LES VRAIES URGENCES ET LES AUTRES

La synergie public privé fait malgré tout ses preuves pour les urgences dans certaines villes où l’on voit des maisons médicales s’installer non loin du CHU pour envoyer les vraies urgences aux urgentistes de l’hôpital et garder les autres. Car le métier des urgentistes n’est pas de soigner l’enfant qui souffre d’une angine.
Cette complémentarité, qui  d’ailleurs est parfois à l’œuvre (comme avec SOS médecin par exemple), a été officiellement proposée par le secteur privé de Reims il y a quelques années. Mais “le CHU a refusé, dit Jackie Ahr, parce que toute personne qui passe aux urgences, malade ou non, génère un acte bien coté par la nomenclature et donc rémunérateur pour l’hôpital.”

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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