FAKE NEWS : LA CROISADE DES ADOS D’EPERNAY

Ils sont sept. Sept collégiens à qui il revient désormais de sensibiliser les jeunes marnais et leurs familles au danger des fake news. Mama, Fanta, Sorhna, Sabrina, Tacko, Esma, et Ismail bénéficient du tutorat scolaire dispensé par le Club de Prévention d’Epernay aux jeunes de la ville. Derrière Marion Colombi, leur éducatrice, ils ont ainsi répondu au très vaste appel à projet  de la Région du Grand Est dans le but d’alerter le public sur les risques des fausses nouvelles. Ils ont travaillé leur sujet à fond pendant des mois, allant jusqu’à réaliser la vidéo d’une fausse information, plus vraie que vraie. Cette compétence bien réelle leur vaut aujourd’hui d’être investis d’une mission beaucoup plus large. Puisqu’après s’être adressés aux sparnaciens, ils  doivent à présent s’interesser aux habitants des trois autres grandes villes marnaises, Reims, Châlons-en-Champagne et Vitry-le-François. C’est un défi qui les motive énormément.

« Pour répondre à l’appel d’offre de la Région, on a fait le choix, dit Marion Colombi,  de proposer une formation-action. Il s’agissait,autrement dit, de former les professionnels du territoire d’Epernay en contact avec les jeunes et les familles afin de  les sensibiliser au danger des fake news. L’association Télécentre Bernon spécialisée dans le numérique a ainsi encadré une vingtaine de personnes. Avec le renfort  de Jean Philippe Klein, un animateur des centres sociaux de la Ville, Le Club de Prévention est allé au bout de sa démarche en encadrant un groupe de sept jeunes tous volontaires sur ce projet SOLID’R . Ils ont été formés eux aussi par le Télécentre Berton et pour la suite « on s’est adapté à ce qu’ils savaient et dont on n’avait pas forcément idée commente Marion Colombi. Ils sont très forts sur Snapchat ou sur Instagram, moins sur Google. »

ILS SE SONT PRIS AU JEU

Ils ont travaillé dur, un soir par semaine, puis deux, et même pendant les vacances. Ils ont appris à se servir d’un moteur de recherche, à vérifier ce qu’est une source, à ne pas tomber dans les pièges. C’est une expérience qui les a beaucoup marqués. « Quand on tape les termes d’une information qu’on veut vérifier sur Google, on tombe d’abord sur la publication en question et  du coup on pense qu’elle est vraie. Ça tourne en boucle. Maintenant, on est capable d’aller plus loin. » Ils ont compris qu’on pouvait changer le sens d’une photo en la recadrant, ils ont décrypté les reportages pouvant utiliser des images, par exemple sur la violence, qui n’ont pas été tournées dans les quartiers concernés.

On leur a soumis des reportages de différents organes de presse écrite, dont la mise en page avait été gommée pour qu’on n’en reconnaisse pas les supports. C’est ainsi qu’ils ont avalé l’improbable information du Gorafi dénonçant la démarche d’un enfant pakistanais en révolte qui refusait de travailler pour H et M, privant ainsi un jeune européen du jean’s dont il avait envie. Par contre ils n’ont pas cru que l’autorisation de conduire accordées aux femmes d’Arabie Saoudite était une véritable information … parce que c’était contraire à l’idée qu’ils se faisaient de ce pays. Ils ont commencé à douter de leur discernement et de la fiabilité de certains médias. « Quand on voit que des chaînes diffusent des informations en continu, même à trois heures du matin, on se dit que c’est moins fiable, qu’ils n’ont pas le temps de vérifier.Moi je le dis à ma mère, je la mets en garde. Du coup on est passé par une phase où on s’est dit que tout était faux, qu’on nous raconte tout le temps n’importe quoi. » Le seul à ne pas avoir été berné sur son sujet de prédilection c’est Ismaïl , l’unique garçon de la bande. » Il a beaucoup de connaissances sur le foot, c’est ce qui lui a permis d’être critique. C’est là qu’on on s’est rendu compte qu’il fallait avoir des bases avant de pouvoir se faire une idée. »

La conversation pourrait durer des heures. Pas de doute, ils sont mieux armés que les autres pour ne pas se laisser piéger par le flot d’information qu’il reçoivent à jet continu sur leurs smartphones, mais ça ne les empêche pas de rester humbleS. « On a constaté aussi qu’on était méfiant sur ce qui nous intéresse, beaucoup moins sur le reste. Parfois on est mitigé quand deux articles sont complètement contradictoires. Aujourd’hui on sait que c’est compliqué de ne pas se faire piéger, mais on est capable d’utiliser notre esprit critique »

« MOI JE DIS, ÇA VA ALLER LOIN TOUT ÇA »

Ils sont intarissables, la tête pleine de souvenirs qui les ont marqués à jamais. La rencontre au siège du Gorafi à Paris avec un des fondateurs du site d’information parodique, et aussi  la visite de la Cité des Sciences, la découverte du Big Data….mais ce dont ils sont le plus fiers, c’est la  fake vidéo qu’ils ont été capables de créer de toutes pièces pour présenter leur travail aux familles et à tous les jeunes du tutorat en Décembre dernier. Ils ont utilisé toutes les ficelles de la fausse information, comme des pros. Ce document leur a valu d’être recus dans le salon Jean Moulin de la Préfecture de Châlons-en-Champagne. Le Préfet Dénis Conus devait leur accorder 5 minutes, il a passé une demi heure avec eux, épaté par la qualité de leur travail. Aujourd’hui ils sont devenus des ambassadeurs,  leur démarche  de «rédaction SOLID’R» est un modèle reconnu, ils ont  à charge de faire profiter les autres de leur expérience, bien au delà d’Epernay , dans toutes les villes du département. « Moi je dis, ça va aller loin tout ça ». C’est la conclusion d’Esma, mais ce n’est pas le mot de la fin.

 

 

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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