MIGRANTS : UNE LANCEUSE D’ALERTE SOUTENUE PAR LE DEFENSEUR DES DROITS

Ibitssam Bouchaara. Le nom de cette lanceuse d’alerte est à jamais lié au décès de Denko Sissoko, jeune migrant malien.Aprés ce drame, l’éducatrice avait été mise à pied pour avoir dénoncé  les conditions d’accueil des mineurs étrangers, ce qui avait failli lui coûter son emploi. Elle a depuis réintégré son poste, mais le Défenseur des droits considère aujourd’hui que la jeune femme a subi une mesure de rétorsion de la part de son employeur et il demande qu’elle soit dédommagée. Une plainte des parents de Denko Sissoko autour des circonstances de la mort de leur fils est par ailleurs en cours d’instruction.  

En Janvier 2017, Denko Sissoko est tombé de la fenêtre de sa chambre, depuis le 8ème étage du Foyer Bellevue de Châlons-en-Champagne. Avec 72 autres mineurs isolés étrangers (MIE)  il y était hébergé par le département de la Marne. Suicide ou accident ? Une première enquête n’a pas  pu préciser les circonstances de cette chute. Il avait appris quelques jours avant sa mort, que sa minorité ne serait sans doute pas reconnue. Ce qui lui interdisait toute prise en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE).  Le drame a suscité une vive émotion bien au delà de Châlons-en-Champagne. Au cours de la marche blanche qui a suivi, l’éducatrice et déléguée du  personnel Ibitssam Bouchaara a fermement et publiquement dénoncé les conditions d’accueil des MIE mais aussi la politique migratoire du département de la Marne. L’association La Sauvegarde qui l’employait lui avait alors signifié sa mise à pied  pour « faute grave ».

UN PRÉJUDICE À RÉPARER

Mais l’inspection du travail, puis le ministère du travail saisi en appel par l’employeur, ont refusé ce licenciement. Alerté par Ibitssam Bouchaara, le Défenseur des Droits considère deux ans plus tard qu’elle a bien « fait l’objet d’une mesure de rétorsion » de la part de la Sauvegarde. Dans sa  décision du 7 janvier 2019 qui vient d’être rendue publique, Jacques Toubon recommande à l’association de « réparer le préjudice de cette dernière  et de l’en tenir informé dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la présente. » Entre temps Ibitssam Bouchaara a retrouvé son emploi  dans le foyer d’adolescentes où elle exerçait avant sa mise à pied. « Ça se passe très bien, on a un dialogue serein avec mon employeur. Je crois qu’ils ont compris que j’étais sincère, que mes prises de position n’étaient pas dirigées contre eux. Et même s’il reste encore beaucoup à faire, la prise en charge des MIE s’est un peu améliorée.« 

L’association Sauvegarde n’a pas réagi jusqu’ici à la décision du Défenseur des droits. L’éducatrice se prépare donc à adresser un courrier à sa hiérarchie en lui demandant de préciser ses intentions. La réparation d’un préjudice tel qu’il est évoqué  dans les préconisations de Jacques Toubon se concrétisent généralement par une compensation pécuniaire qui ne saurait lui rendre la « légèreté » qu’elle dit avoir perdue durant ces deux années de procédure particulièrement éprouvante pour elle même, et plus encore pour ses enfants, deux adolescents qu’elle élève seule. « C’était difficile, explique-t-elle, parce que je ne pouvais pas les rassurer dans la mesure où je ne comprenais pas ce qui se passait. » Les choses se sont apaisées depuis, elles le sont encore plus après cette petite victoire de principe. Car Ibitssam Bouchaara sait bien que les préconisations du Défenseur des droits ne sont pas toujours suivies des faits. Mais elles pourront étayer un recours ultérieur devant le Conseil des Prud’hommes.

LE DOSSIER N’EST PAS CLOS

L’éducatrice rémoise attend surtout aujourd’hui de connaître une autre décision trés attendue du Défenseur des Droits, puisqu’elle l’avait également saisi sur d’éventuels dysfonctionnement du service public dans la prise en charge des MIE après le décès de Denko Sissoko. La décision de Jacques Toubon devrait intervenir en Mars. Ibitssam Bouchaara doit par ailleurs être entendue dans le cadre d’une nouvelle enquête sur le décès de Denko Sissoko. Econduits aprés une première plainte, les parents du jeune homme ont. persévéré,  cette fois avec constitution de partie civile,  pour homicide involontaire, délaissement,  et non assistance à personne en danger. Le dossier est  aux mains de  Romain Jouanneau, juge d’instruction au TGI de Châlons-en-Champagne.

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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