GROS MALAISE DANS LES HÔPITAUX

LE CENTRE HOSPITALIER DE CHARLEVILLE MÉZIÈRES N’Y ÉCHAPPE PAS

 

Ici, comme ailleurs la Loi HPST de 2009, « Hôpital Patients Santé et Territoire », s’est appliquée avec l’ambition de moderniser et de réorganiser l’ensemble du système de santé. Comment ces intentions louables ont-elles pu provoquer le malaise profond exprimé aujourd’hui par de trop nombreux professionnels de santé ?  Ils dénoncent la toute puissance de dirigeants administratifs tenus d’appliquer les objectifs trop ambitieux de leur tutelle, ce qui favorise la maltraitance, la placardisation et le harcèlement de ceux qui ne se soumettent pas. Quand elles osent parler, les victimes de cette stratégie en viennent systématiquement à comparer ce qu’elles subissent au tristement célèbre management de la Poste ou d’Orange. Car l’idée de suicide leur a bel et bien traversé l’esprit un jour ou l’autre, parfois jusqu’au passage à l’acte.

 

ELLE ÉTAIT CHEFFE DES URGENCES, AUJOURDHUI ELLE RÉGULE LES APPELS

Urgentiste depuis 30 ans, elle a pris les commandes du service au Centre Hospitalier de Charleville Mézières en 2007 avant de devenir cheffe de pôle (urgence plus SAMU) en 2010. Et pour cause : le service qu’elle avait monté etait alors cité en exemple dans toute la région. Carrière si méritante  qu’elle reçoit la médaille de l’Ordre National du Mérite des mains du Prefet. C’est pourtant  à ce moment là qu’on la met à l’écart. Le directeur, qui n’est pas médecin,  veut reprendre  le service en main. Logique comptable, politique du chiffre. L’urgentiste n’approuve pas et c’est le début d’une spirale  infernale. Arrêt maladies, antidépresseurs à trop fortes doses. Les entretiens avec les médiateurs peuvent durer des heures d’affilée. L’épuisement moral et physiques est inévitable. Les idées de suicides sont régulières. Un soir elle envisage de jeter sa voiture contre un arbre, une autre fois son mari la retrouve un couteau de cuisine à la main, sur le point de s’ouvrir les veines. Aujourd’hui elle est chargée de la régulation des appels téléphoniques. Placardisée comme une dizaine de ceux qui l’ont approuvée. Trois d’entre eux sont partis, quelques uns sont soutenus par leur hiérarchie immédiate, ce qui aide à tenir, et les autres continuent comme ils peuvent en développant une stratégie d’adaptation. Ainsi cette infirmière anesthésiste qui a gravi les échelons pour devenir cadre supérieur. Elle passe son temps dans un bureau, déresponsabilisée, sous employée à des tâches qui l’occupent 2 ou 3 heures pas jour. Elle dénonce une  loi HPST qui  a fini par oublier que le cœur de métier de l’hôpital doit être le patient.  « Et la machine continue, dit elle, son sale boulot. On se prive de personnes de valeur, dévouées corps et âme. Les départs ne sont pas remplacés. Les  services tournent mais les gens sont épuisés. » À tel point que le médecin du travail a mis la clé sous la porte. Trop lourd à gérer.  C’était devenu le bureau des pleurs. Il est fermé depuis deux mois sans remplaçant pour l’instant. Et le cas de l’hôpital de Charleville-Mézières n’est pas isolé.

L’ASSOCIATION JEAN-LOUIS MÉGNIEN ALERTE LES AUTORITÉS

Jean-Louis Megnien, du nom de ce professeur de cardiologie de l’hôpital Georges Pompidou  qui s’est suicidé en décembre 2015 sur son lieu de travail. En Septembre dernier, le rapport de l’Inspection Générale des Affaires Sociales admet une « mise à l’écart médicale avérée » tout en refusant d’envisager un harcèlement moral. Une instruction est pourtant ouverte précisément pour harcèlement moral sur la personne de Jean Louis Megnien. En attendant le drame a libéré la parole d’autres médecins qui se disent victimes de harcèlement. L’association Jean-Louis Mégnien, qui s’est constituée depuis, reçoit des témoignages de praticiens, ils sont plusieurs dizaines, qui racontent tous la même histoire. Les dossiers, qualifiés de dramatiques, ont été transmis au cabinet de la Ministre de la Santé, Marisol Touraine. Pourquoi le scenario se reproduit-il partout en  France ? En raison de la gouvernance mise en place par la loi HPST dit un urgentiste de Charleville Mézières.  « Autrefois les chefs de service accédaient à cette fonction parce que leur compétence médicale s’imposait, la gestion du service relevait donc d’une logique médicale. Aujourd’hui les « patrons » sont devenus  des chefs de pôles* nommés par la direction. Il doivent entrer dans le moule sinon on les vire. Le résultat c’est que les services sont désorganisés. Ici il manque 10 médecins aux urgences. Les personnels sont épuisés. Une seule infirmière la nuit pour 25 patients, c’est impossible ». La direction de l’hôpital n’a pas souhaité s’exprimer sur ces questions. Et comme souvent quand la  situation est particulièrement dégradée, les syndicats observent la même discrétion. Peut-être pour mieux se mobiliser ce 8 Novembre à l’occasion de la journée nationale d’action des infirmiers ?

*Les chefs de pôle font par ailleurs systématiquement partie de la Commission Médicale d’Etablissement, la CME, censée représenter les médecins du Centre Hospitalier. Du coup,  l’opposition du corps médical à l’administration n’est plus relayée.

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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