DES CHÂTELAINS COMME ON LES AIME

En Champagne le Château de Taisne figure dans les guides touristiques comme une étape incontournable de la découverte de la Côte des Bars et du merveilleux village des Riceys. S’il s’ouvre aussi volontiers au visiteur, c’est que ses propriétaires ont choisi de partager leur bonheur d’y vivre. Ainsi Charles et Ségolène de Taisne ne s’écartent-ils pas de la tradition d’hospitalité de leur lignée. Leur démarche est aujourd’hui doublée d’un réalisme économique qui devrait leur permettre de restaurer un joyau. À écouter Ségolène de Taisne, l’aventure est exaltante.

Tout commence par une invitation à “goûter au jardin”. La tradition remonte à l’entre deux guerre, quand les grands parents de l’actuel maître des lieux ont instauré ce rituel hebdomadaire en faisant accourir les enfants du village à l’heure des tartines de confiture au son de la cloche du château. Le goûter au jardin est aujourd’hui encore l’occasion de déguster mais aussi d’emporter les produits artisanaux de la maison et de ses environs, dont le champagne, évidemment. Puisqu’ayant fait le choix de s’installer aux Riceys avec ses 5 enfants en 1967, le baron Angelito de Taisne, le père de Charles, a relancé l’exploitation viticole. Elle portait la maison depuis la fin du 19ème siècle avant d’être dévastée par le phylloxéra. Aujourd’hui elle produit à nouveau son champagne sous la marque Taisne Riocour. “Sans l’aide et l’amitié des villageois, commente Ségolène, mon beau père n’aurait jamais pu racheter de vignes pour développer l’exploitation. Et cette solidarité existe encore aujourd’hui. Mon beau père a été maire de la commune des Riceys et notre ancrage ici est très fort. En fils aîné de la famille de Taisne c’est mon mari qui a logiquement pris les rennes du château.  Notre vie était à Lyon où Charles était cadre supérieur dans l’industrie pharmaceutique. Moi j’étais impliquée dans toute sortes d’associations et de projets mais nous venions ici tout le temps.” Plaisirs d’une vie familiale où chacun s’implique selon ses talents dans les tâches qui lui conviennent, du parc aux vignes en passant par les cuisines. Mais ce n’est pas suffisant. Depuis 1890 le château n’avait pas connu de travaux de maintenance, tout en ayant subi les guerres, l’occupation allemande, à quoi s’est ajouté une réforme de l’imposition des rentiers qui a bouleversé les revenus des familles de propriétaires. Ce n’est pas par hasard que plus de 600 châteaux sont à vendre en France. Le Château de Taisne n’avait pas de confort, pas de chauffage, des cuisines rudimentaires mais il devait rester aux mains de la famille. “Comme mes beaux parents on a voulu se donner les moyens de réussir.”

 

 

UNE VOCATION D’ART ET D’HISTOIRE

Pour sauver le bâtiment, dont une aile date du 16ème siècle, il fallait le classer et inscrire sa restauration dans un projet d’ensemble. Il existe à Paris une association, « La demeure historique »qui se destine à l’accompagnement des propriétaires. Car un monument classé peut donner droit à des aides et des déductions fiscales quand il s’ouvre au public. “J’ai donc suivi cette formation qui m’a permis d’avancer avec tous les partenaires concernés vers une programme de restauration d’ensemble. Pour l’aile 18ème du château, on est presque au bout, mais l’aile féodale est un Everest. Les travaux étaient estimés à 2,5 millions au départ, il en faudra sans doute bien plus de 3 dont nous n’avions pas le premier sous.” Cette lucidité aurait pu s’accompagner d’un certain découragement, mais le couple a choisi de relever le défi. L’intérêt patrimonial exceptionnel du château, avec ses décors peints intérieurs et extérieurs, légitime le soutien des monuments historiques. La dynamique culturelle de l’entreprise de Ségolène de Taisne devrait par ailleurs lui valoir le soutien du Conseil Départemental et Régional. Et le développement de son activité générant des embauches, elle devient éligible au fonds européens. Car l’art de vivre au château est bien devenu aujourd’hui un argument touristique.

 

SUR LA VAGUE D’UNE DYNAMIQUE TOURISTIQUE

Nous avons la chance de vivre dans une région magnifique, notre village est exceptionnel. La Côte des Bars bénéficie d’un projet de développement touristique autour de l’art de vivre et la tradition, du champagne et du rosé des Riceys. Je ne savais pas ce qu’était un monument historique quand j’ai commencé, par contre j’aime recevoir et je sais le faire.” C’est ainsi que les goûters au jardin ont été suivis des mariages au château. Forte d’une expérience de cinq mariages familiaux consécutifs, Ségolène de Taisne les organise aujourd’hui pour des convives du monde entier. Depuis cet été elle dispose d’équipements adaptés aux réceptions. Le château est au milieu du village, ces évènements sont organisées dans un dynamique de partenariat avec les voisins, les gîtes et hôtels y sont associées. Depuis l‘hiver dernier, elle accueille  chaque mercredi des croisiéristes étrangers qui découvrent la région sur les canaux. Des groupes de 15 maximum, la taille d’une table familiale, pour partager la vie des occupants d’un monument. “Voilà comment j’ai monté ma première entreprise. Jusque-là je faisais dans le bénévolat, maintenant je raisonne en chiffre d’affaire parce que la sauvegarde du château doit absolument s’adosser à une dynamique économique. Il faut monter en puissance , trouver les équipes pour faire le travail,un jardinier, une maîtresse de maison qui serait mon double. Mais sans devenir le Nigloland du monument historique ou l’autoroute du mariage.

 

JE FAIS POUR LES TOURISTES COMME POUR LES MIENS

Nous voulons que les gens se sentent chez eux chez nous. Jusqu’à maintenant on a réussi. Ils n’ont pas peur de nous réveiller à 4 heures du mat quand ils remontent dans leur chambre. J’ai beaucoup de demandes, mais je ne veux pas perdre mon authenticité et je la perdrais si je devais mettre le couvert tous les jours pour 15 personnes.” Garder son âme tout en profitant d’une conjoncture favorable : outre l’activité du château, le soutien des conservateurs du patrimoine et le projet touristique de la Côte des Bars et de l’Aube devraient faciliter le plan de financement pluriannuel nécessaire à la restauration de la salle d’arme pour les réceptions, et des chambres qui sont au dessus. Ce qui devrait permettre d’y héberger des hôtes dans 2 ou 3 ans. “J’ai une formation solide (Sciences Po Paris, ndlr), conclut Ségolène de Taisne, et dans ma famille de terriens l’argent devait travailler. C’est ce que j’apporte ici. Plutôt que de payer l’IFI ( le nouvel ISF) sans bouger, autant créer un outil de travail intelligent. Je continue avec les ombres tutélaires des femmes qui ont oeuvré ici avant moi. À toutes les époques les gens ont aimé vivre dans ce lieu qu’ils ont amélioré. C’est une maison où je ne me suis jamais sentie mal.”

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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