DEUX LYCÉENS ONT VECU L’ENFER EN REPRÉSAILLES À LEURS RELATIONS SEXUELLES

Déchaînement de violences et d’humiliations, après un enlèvement suivi de séquestrations. Devant le Tribunal Correctionnel de Reims, le récit du calvaire des deux lycéens est glaçant. Et sidérant, parce qu’il implique 6 adultes. La mère et les frères de la jeune fille, mais aussi des complices qui n’avaient aucun lien avec ces deux  jeunes victimes, coupables seulement d’avoir eu des relations intimes.  

Ces 6 adultes se sont érigés en justiciers moralisateurs, punissant sévèrement les deux adolescents pour des faits relevant de leur vie privée. Quatre d’entre eux  ont écopé de prison ferme : 6 ans pour un des frères de la jeune fille, 4 ans pour un ami en fuite, 6 mois pour la mère et pour un ceux qui ont enlevé le lycéen. Les deux autres prévenus sont condamnés à des peines de 6 mois avec sursis.

UNE EXPÉDITION PUNITIVE 

Le 5 Mai 2024, dans le quartier Croix Rouge de Reims, une passante se porte au secours d’un jeune homme désorienté, le visage couvert de sang. Il vient de vivre l’enfer. On l’a poussé de force dans une voiture après qu’une connaissance l’ait incité à sortir de chez lui sous un faux prétexte. Cinq hommes sont déjà installés dans la Clio qui l’attend à l’arrêt de bus Bel Air. Le tabassage commence sur la banquette arrière, à coups de poings et de cigarette électronique, au point qu’il urine dans la voiture et s’évanouit. Un des frères de la lycéenne de 16 ans avec laquelle il a eu des relations intimes, est à l’origine de ce guet-apens. Déjà condamné à un an ferme pour des violences, cet homme de 20 ans est sous bracelet électronique. Il vient  d’apprendre ce qui s’est passé. Une vidéo découverte sur le téléphone de l’adolescente l’a poussé à bout. Même si rien ne prouve que les épaules qui apparaissent sur les images soient celles du jeune homme sur lequel il s’acharne, il devient son souffreet le garçon deviendra son souffre douleur

« C’EST MA PETITE SŒUR »

A l’audience, il se justifie par un réflexe de grand frère protecteur. La défense invoquera un peu plus tard des codes culturels différents, puisque cette famille est originaire du Tchad.      « Vous savez quand même, rappelle le président au prévenu, que fouiller dans le téléphone de quelqu’un constitue le premier stade du délit en matière de violence conjugale ? » Après un premier passage à tabac, dans la voiture, le lycéen a donc été contraint de gagner l’appartement familial. De son côté, la jeune fille y a déjà vécu l’horreur, un peu plus tôt. Elle reste silencieuse à l’audience, mais ses auditions ont fait état de coups de la part d’un de ses frères, puis d’un autre, et même de sa mère qui va jusqu’à la mordre. A quoi s’ajoutent de terribles insultes, la robe déchirée, et les menaces de la renvoyer au Tchad. Elle raconte comment son frère l’a obligée à  arracher les postiches qui allongaient ses mèches avant que sa mère lui coupe ses cheveux au couteaux, au raz du crâne.Le procureur insistera d’ailleurs dans son réquisitoire sur le terrible symbolisme de ce crâne rasé.

« IL SE SENT MORT »

Cette mère de famille, six enfants de deux unions différentes, va jusqu’à  inciter la lycéenne au suicide après ce déshonneur coupable. Il faudra d’ailleurs empêcher l’adolescente de passer à l’acte, un peu plus tard quand elle tentera  d’enjamber la fenêtre de sa chambre, au septième étage, à deux reprises. C’est dans cette pièce qu’elle est enfermée quand son frère revient avec ses complices et leur « otage ». Il doit être puni, comme elle, pour leurs quelques relations intimes. Et c’est depuis cette chambre, dont les poignées de portes et de fenêtres ont été retirées, qu’elle entend ses cris, sans rien ignorer de ce qu’on lui inflige. Au point qu’elle est persuadée qu’il ne s’en sortira pas vivant. Lui aussi a raconté aux enqueteurs qu’il a voulu mourir à ce moment là, mais il s’est dit que son suicide dédouanerait ses tortionnaires de leur culpabilité. Et il ne l’a pas fait. Il ne prendra pas la parole à l’audience parce que, dit Maître Mercier qui défend les intérêts des deux victimes, « ses sensations sont les mêmes qu’au moment des faits… « Il est là, avec nous aujourd’hui mais au fond de lui, il se sent mort.» Les coups de poings et de couteau qu’il a reçus l’ont traumatisé  sans doute pour la vie.

UN AVENIR DÉTRUIT

Le traumatisme crânien qu’il a subi lui laissent d’importantes séquelles.  Il a des troubles importants de la mémoire. dit son avocate. Quand à la jeune fille, « elle est déchirée aujourd’hui, dit Maître Mercier, parce que c’est  son téléphone qui a conduit les justiciers jusqu’à son ami, c’est par sa famille qu’il a été détruit. » Après deux jours d’enfermement chez ses parents,  elle a pu prendre un bus avec l’aide d’une amie qui habite la région parisienne. Et puis elle a été très vite placée dans un foyer, mais seulement jusqu’à ses 18 ans. Aujourd’hui elle a du réintégrer la cellule familiale. Retrouver cette mère qui s’est davantage offensée de la vie sexuelle de sa fille que du viol qu’elle a subi de la part d’un ami de la famille. « C’était compliqué », a-t-elle a justifié. Cette mère qui a justifié l’absence de sa fille auprès du Lycée Roosevelt en annonçant son départ au Tchad. Et c’est encore cette mère qui, répondant  au Président du Tribunal, a expliqué qu’elle avait peu entendu ceux qui s’acharnaient sur l’ami de sa fille, parce qu’elle avait augmenté le son de la télévision. Comme l’a conclu l’avocate des deux victimes, « ces mômes là sont définitivement brisés ».

Monique Derrien

Journaliste

Journaliste indépendante après 30 années d’exercice à Radio France, comme reporter puis grand reporter.

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