Dans la Vallée de la Marne, entre Epernay et Château Thierry, Emmanuel Boucant cultive ses vignes au Mont de Bonneil, là où il élabore son champagne. Comme partout ailleurs, la vendange y est un moment de labeur. Mais la convivialité est ici un mot d’ordre. Alors, la plupart des cueilleurs de ce vigneron sont des habitués, heureux de se retrouver là d’une année sur l’autre. De la récolte au flacon, le plaisir donne le ton.
Dans les vignes d’Emmanuel Boucant, la sono marche à fond. Mais il ne faut pas s’y tromper. Ce n’est pas une free party qui se joue ici. Les vendanges battent leur plein et les cueilleurs ont installé une enceinte particulièrement performante…pour se stimuler. Et à les voir à l’œuvre, ça marche vraiment. Le soir ils campent un peu plus haut, sur le terrain qu’on leur loue. Des douches et sanitaires sont à leur disposition. Les repas livrés par le traiteur sont copieux et soignés. Résultat, le vigneron de Bonneil n’a aucun problème de recrutement.
« FAUT PAS LES PRENDRE POUR DES CHIENS »
Sur les 7 hectares de l’exploitation il faut 25 coupeurs et 4 débardeurs pendant une bonne semaine. « Mes équipes sont constituées depuis le mois de Mai, dit Emmanuel Boucant, Beaucoup d’habitués, seulement 7 ou 8 nouveaux cette année. La majorité d’entre eux vit à Laon ou Saint Quentin mais il en vient de toute la France. » La plupart prennent leurs congés payés pour vendanger. Ils sont employés d’usine, intérimaires ou étudiants. « Depuis 18 ans, commente le vigneron, leur salaire net n’a augmenté que de 20 à 30%, alors que le brut a doublé. Les cotisations sont plus lourdes pour tous, et c’est un peu écœurant pour eux. Je préférais les payer davantage. Couper du raisin c’est compliqué, et quand le salaire n’augmente presque pas, ça ne vaut pas la peine de travailler. Pour qu’ils reviennent, il faut une bonne ambiance. » « Certains ne viennent que pour le week end, constate sa compagne. Ils sont très contents ajoute Anastasia. Ils attendent tous ça, se retrouver pour parler de leur vie. Ils sont devenus amis au fil du temps. Beaucoup d’employeurs ne veulent pas payer d’heure sup, ni les faire travailler le dimanche parce que c’est plus cher. Pas de repas offerts, pas de temps de pause… » « On cueille presque au sifflet, ponctue le vigneron. Faut pas les prendre pour des chiens ».
UN COLLECTIF QUI GAGNE
« Au niveau qualité, les jus goûtent bien, constate Emmanuel, après… les quantités sont plutôt faibles. On commence toujours par les vignes à faible rendement parce qu’elles sont les plus matures. Si c’est partout comme ça je n’atteindrai pas le rendement fixé cette année à 9000 kilos à l’hectare. Heureusement, la Champagne est très bien faite…» Allusion aux fameux vins de réserve. Ils peuvent être stockés, quand la vigne est généreuse, au-delà du « rendement économique » imposé chaque année par l’interprofession pour s’adapter au marché. Au moment d’élaborer ses assemblages, en Février prochain, Emmanuel Boucant pourra donc puiser dans sa réserve de vins en cuve, jusqu’à atteindre les 9000 kilos. Le rendement bas, fixé cette année par le Comité Champagne a été critiqué par certains. « Mais pour une fois, constate Emmanuel, il est en phase avec ce le rendement agronomique. » Et il salue l’organisation remarquable de cette Champagne dont il est si fier. « Les gens qui décident pour nous sont bien placés, ils voient tous les marchés, ils ne sont pas bêtes. Ils ont étudié tout ça. Ils ont des connaissances que je n’ai pas. On reste un bon vignoble super bien organisé. Le seul vignoble géré par les vignerons et négoces en même temps. Les réunions, ça ne doit pas être tous les jours facile, mais ça donne des bonnes choses à la fin. Des fois on aimerait voir ça autrement, mais globalement, ça fonctionne. »

LE PLUS BEL ENDROIT DU MONDE
Au moment de prendre la photo devant ses vignes avec sa compagne, il ne craint pas d’affirmer que le plus bel endroit du monde est ici. Ce champenois pur et dur a été formé au Lycée viticole d’Avize. Avant de reprendre les rênes de l’exploitation familiale en 2007, un stage en Australie lui a ouvert d’autres horizons. La marque Boucant Thierry, celle que ses parents ont créée, maintient l’offre d’un champagne festif, facile à apprécier, une qualité régulière et constante. S’y ajoute désormais la gamme Emmanuel Boucant déjà très repérée par les guides. « Je me fais un peu plus plaisir sur des petits volumes. Je ne connais pas beaucoup de métiers ou on cultive la matière première jusqu’à vendre son produit fini. On gère tout de A à Z. C’est vrai que c’est plaisant. Quand on a 4 ans de stocks entre le vin en cuve et les bouteilles, des fois on a envie de goûter. On goûte toute la cave, (on crache bien sûr), et on découvre des évolutions très intéressantes. C’est passionnant ! Je ne me verrais pas faire un autre métier »
CHAMPAGNE BIO, UN PARI DIFFICILE
Après sa récente certification bio, la production d’Emmanuel Boucant s’est passablement compliquée l’an dernier. « J’ai vendangé 850 kg sur 7 hectares. J’ai perdu une bonne partie de ma récolte au printemps. Et quand on commence à ne plus rien avoir au mois de Mai, c’est très compliqué moralement. C’est le souci du bio, on ne sait pas bien quel traitement appliquer et à quel moment. On a deux ou trois pistes, mais je me suis formé à d’autres techniques. » Peut-être faudra-t-il envisager une viticulture bien raisonnée, plutôt que de rester sur du bio et ne pas s’en sortir, car l’exploitation doit rester rentable. La question se pose. L’arrivée d’Anastasia dans l’entreprise permettra en tous cas de développer la clientèle en France et à l’export. La jeune femme est originaire des pays de l’est. Elle parle 4 langues. Déjà forte d’une solide expérience en Champagne, elle se réjouit de travailler pour son compte. « Quand j‘étais seul, j’ai délaissé la clientèle pour travailler dans les vignes, dit son compagnon. C’est là que je suis le plus à l’aise. Maintenant on va pouvoir lancer une vraie stratégie commerciale. »