Sous les voûtes de Notre Dame de Paris magnifiquement restaurée, les victimes d’abus sexuels dans l’église ont été invitées par l’INIRR, Instance Nationale Indépendante de Reconnaissance et de Réparation, à «faire une halte spirituelle et fraternelle sur le chemin de la restauration.»
Cette métaphore de la restauration ne pouvait en effet mieux s’exprimer ailleurs que dans la nef de Notre Dame si brillamment reconstruite. L’initiative, soutenue par le diocèse de Paris, a su faire de ce temps spirituel un moment de paix, et peut-être d’espoir pour certains. Puisque c’est bien la reconstruction de la cathédrale qui permet aujourd’hui sa renaissance.
UN MOMENT DE PARTAGE
Le témoignage vibrant d’une victime l’a rappelé aux compagnons d’infortune qui l’écoutaient : « La cathédrale ne s’est pas relevée en un jour. Nous avons la même histoire. Un incendie l’a réduite en cendre comme nous, et pourtant cela ne dénature pas ce que nous sommes en nous.» Cet homme a évoqué ses décennies de souffrances terrifiantes, avant sa résilience, avec des mots que la plupart de ceux qui l‘entendaient auraient pu prononcer. Il a été capable, pour sa part, de revenir vers l’Eglise. Ce n’est pas le cas de toutes celles et ceux qui ont répondu, ou pas, à la belle invitation de l’INRR. « La mise en lumière d’un parcours de rédemption par la foi catholique chez une victime est évidemment respectable, commente Thomas après cette médiation, mais elle plonge un peu dans l’ombre ceux qui ont perdu la foi ou qui traversent depuis longtemps un désert spirituel, sans doute une majorité de victimes. » La Commission Sauvé évalue à plus de 200 000 le nombre de personnes victimes d’abus sexuels de la part de religieux depuis 1950. L’INIRR en a dédommagé des centaines. Elles ont pourtant du mal, parfois, à passer le porche d’une église. Certains parviennent à surmonter cette phobie, ce rejet. Tous n’en sont pas là.
DES BRAS OUVERTS
Ceci explique sans doute que le moment spirituel organisé à Notre Dame n’ait rassemblé que 2 ou 300 victimes, pas plus. Elles ont été accueillies avec infiniment d’égard, d’attention et de sollicitude. Le déroulement de cette magnifique journée n’a connu aucune fausse note grâce à l’implication de nombreux bénévoles, manifestement très conscients de la souffrance de ceux qu’ils accueillaient. Le temps spirituel proposé à la cathédrale a néanmoins provoqué un malaise chez certains d’entre eux. « l’Église parvient très difficilement à sortir de son propre cadre de références en se livrant à des interprétations parfois trop convenues, dit encore Thomas : en répétant à de nombreuses reprises que le silence est l’espace où Dieu manifeste sa bienveillance à chacun, elle heurte évidemment ceux pour qui le silence dans l’Église est toujours cause de souffrance. » Comme toutes les victimes présentes, Thomas salue l’accueil particulièrement bienveillant qui leur a été réservé, et aussi cette ouverture remarquable, dans les mots de l’evêque auxiliaire de Paris, à d’autres chemins spirituels que ceux de la foi catholique, permettant de retrouver sa dignité d’homme libre.

MAIS ENCORE ?
À Reims l’association ÉCLATS veut recenser les victimes des prêtres (l’abbé Prot, et d’autres) qui ont sévi dans le diocèse. Les fondateurs de l’association, dont Thomas,(image ci-dessus) ont tenu répondre à l’invitation de l’INIRR qui a d’ailleurs commencé à indemniser certaines des victimes rémoises. La lettre de reconnaissance de leur statut de victimes, qui officialise cette procédure, est encore plus importante pour eux. Mais toutes leurs attentes n’en sont pas comblées pour autant. Comme la restauration de Notre Dame, la restauration des victimes a besoin de s’opérer dans des conditions désormais bien identifiées : une prise en charge qualifiée, une transparence totale qui leur permettrait de se reconnaître entre elles, puisque c’est un facteur indispensable à leur restauration. Elles réclament l’entière reconnaissance de leurs terribles blessures. Ces mêmes victimes rémoises attendent notamment que tout soit fait pour retrouver des archives qui ont disparu, et que ceux qui les ont détruites, si elles l’ont été, soient identifiés. Car il s’agit bien d’un délit. L’ouverture d’une enquête permettrait sans doute de lever la chape de plomb qui pèse encore sur ce passé douloureux, de mettre fin à ce fameux silence de l’Eglise qui continue à les oppresser, 40 ans plus tard.