Les témoignages des victimes de l’Abbé Prot ne sont plus rares. Celui de Christophe Remondière est un des plus récents. Cet homme de 53 ans tient à ce que ses révélations soient publiées sous son nom. Elles sont particulièrement bouleversantes parce qu’elles disent à quel point le prêtre rémois savait manipuler les enfants, mais aussi leurs familles, pour assouvir sa pédophilie. Plus personne aujourd’hui ne songe à nier ces faits. C’est un progrès. Reste à en préciser l’ampleur, tant ils ont été cachés. C’est l’étape suivante.
Car des preuves ont été détruites, empêchant la manifestation de l’entière vérité. 40 ans après la mort du prédateur sexuel, elle est pourtant indispensable à la restauration des victimes, dévastées à un point qu’on n’imagine pas. La fin de l’histoire n’est pas encore écrite.
« CHRISTOPHE, LABBÉ PROT T’ATTEND ! »
Christophe a 53 ans aujourd’hui. Il a été élevé à Reims, dans la religion catholique. L’abbé Prot s’est sournoisement insinué dans sa vie intime à la faveur d’une « évaluation » qui a précédé l’entrée dans le scoutisme de l’enfant de 10 ans. (Image ci-dessus). Mais cet entretien a surtout été l’occasion de lui faire avouer ses pratiques sexuelles d’adolescent, forcément honteuses… au point qu’il fallait les rapporter à sa mère, de toute urgence. Le prédateur se posait ainsi en éducateur. Voilà comment l’innocence est devenue coupable. Il fallait que son guide spirituel le débarrasse du mal qui était en lui, qu’il l’accompagne sur le chemin de la rédemption. «Obéissance aveugle» se souvient Christophe durant ces camps scouts auxquels l’enfant avait si ardemment souhaité s’intégrer. Le témoignage de l’homme qu’il est devenu est oppressant parce qu’il décrit une manipulation imparable, jusqu’à une emprise morale et physique totale. Et que dire de ce chef scout qui savait ouvrir les portes des douches comme une vitrine offerte au passage du prêtre pendant la toilette, ou bien encore rappeler ses devoir à l’heureux élu : « Christophe, l’Abbé Prot t’attends ! » L’enfant pensait être le chouchou du prêtre, il arrivait même que ses camarades s’en moquent. Il sait aujourd’hui qu’il n’était pas le seul. Toutes les victimes se sont prises pour le chouchou de l’abbé Prot, c’était sa stratégie, sa manipulation suprême. Des années plus tard, la souffrance de Christophe ne s’est pas apaisée. Au point qu’il a developpé une maladie auto-immune dont les complications sont très lourdes.
SUR LE CHEMIN DE LA VÉRITÉ
En ce dimanche du 23 Mars dernier, un temps de prière était consacré aux victimes de l’Abbé Prot à la Cathédrale de Reims. Devant une trentaine de fidèles, l’archevêque Eric de Moulins Beaufort y a rappelé l’importance de l’écoute et de la reconnaissance des victimes, en regrettant un «aveuglement dramatique » de l’Eglise. Des prêtres sont par ailleurs revenus sur leur récente rencontre avec une des victimes de Daniel Prot. C’était à l’occasion de la dernière session du Conseil Presbytéral. Guillaume Gellert y est intervenu devant une quarantaine de personnes, majoritairement des prêtres. Ce quinquagénaire est, avec Benoît*, à l’origine de la création du Collectif des Victimes de l’abbé Prot, il y a un an. LIRE ICI L’intervention de Guillaume a permis de mesurer l’ampleur des dégâts de ces actes pédophiles sur les victimes. Le Père Arnaud Toury qui préside ce Conseil Presbytéral, rapporte la sidération de deux prêtres qui ont cotoyé l’abbé Prot. Ils disent avoir eu du mal à trouver le sommeil après ce témoignage. Ils ont été boulversés. Ils ne se doutaient de rien. Ils se disent, dit Arnaud Toury, « victimes d’un mensonge atroce ». Mais d‘autres ne pouvaient pas ignorer.
DESTRUCTIONS DE PREUVES
On pense à la hiérarchie de l’Eglise. Elle a négligé les alertes qui, dès le séminaire, ont signalé le comportement inquiétant de Daniel Prot. On pense à ceux qui, après sa mort en 1986 d’une maladie de Hodgkin à l’âge de 46 ans, ont débarrassé le presbytère qu’il occupait, 120 rue du Barbâtre à Reims. Les photos qui y ont été trouvées plus tard ne laissaient pas de place au doute. Des garçons dénudés, toujours prépubères, des images en gros plans. Toutes ont été détruites par ceux qui les ont découvertes. Détruites aussi les archives portant sur la période qui a vu sévir l‘abbé Prot, dans les camps scouts, à la Maîtrise de la Cathédrale, à la colonie de Clefcy dans les Vosges. Autant de lieux où le prêtre a impunément exercé son ascendant sur des enfants dont les familles le portaient aux nues. Il avait juste l’opportunité de faire ce qu’il voulait. Il était comme chez lui « Des gens se sont donné le mot, insiste Arnaud Toury, peut-être en concertation pour faire disparaître les preuves. C’est un délit collectif. » La directrice du collège Notre Dame à Reims est elle aussi très touchée par la souffrance des victimes du prêtre. Valérie Deslandes a accompagné ces hommes qui ont tenu à visiter l’appartement qu’occupait de l’abbé Prot, au-dessus de l’école Saint-Pierre. Elle a constaté le malaise qui s’est emparé de l’un d’entre eux quand il s’est retrouvé sur le lieu de ses souffrances. «Franchement, ça m’a bouleversée. »
L’OUBLI N’EST PAS UN REMÈDE
« En faisant disparaître les traces, on veut faire disparaître les faits. Mais c’est mal connaître le vécu des victimes. La solitude des personnes en manque de preuve est bouleversante. » ajoute Valérie Deslandes. Et il est vrai que jamais aucune de leurs terribles souffrances ne sera guérie par le silence. Valérie Deslandes s’est donc mobilisée pour retrouver les archives, de Notre Dame et de la Maîtrise aujourd’hui regroupées dans son établissement, parce qu’elles auraient permis de retrouver la trace d’autres victimes. Mais sur la période qui a vu sévir l’abbé Prot, elles ont disparu. « Ce qui n’est pas tout à fait normal. Je me dis qu’il faut vraiment qu’on fasse justice la dessus parce que ce n’est pas anodin. On ne peut pas dire que ce n’a pas existé. C’est très violent pour les victimes ». Antoine Gérard est marié, père de 4 enfants. Il est médecin addictologue, spécialisé dans les psycho traumatismes, diacre…et victime de l’abbé Prot. Il a tenu à faire lire son message au cours du récent moment de recueillement à la Cathédrale de Reims: « Nous sommes face à vous…en attente de cette main tendue pour nous relever. Nous permettre de comprendre notre histoire avec les zones d’ombre qu’elle comprend, liées aux traumatismes subi par l’Abbé Prot. Des victimes ont des périodes d’amnésie, d’autres ont des soins psychiatriques, sont dans les addictions ou décédées par suicide. …. Les psycho traumatismes mènent à tout cela, y compris pour les générations suivantes. Ceux qui savent quelque chose au sujet du parcours de l’Abbé Prot peuvent changer quelque chose pour nous et pour nos enfants. »
« MERCI GUILLAUME ! »
Le recensement des victimes, leur paroles, sont bien une priorité. « Il n’y a là aucune volonté de salir l’Eglise, comme le pensent encore certains, insiste Guillaume Gellert. Il s’agit simplement d’aider ces hommes détruits à se reconstruire. » Le travail du collectif qu’il a cofondé avec Benoit* a d’ailleurs déjà fait ses preuves. Cette septuagénaire en sait quelque chose. Portée par la foi, mère d’une famille plus que nombreuse, elle a très bien connu l’abbé Prot. Elle lui vouait une admiration sans borne, au point de l’avoir accompagné jusqu’à son dernier souffle. Elle se souvient d’ailleurs que ses obsèques ont pris des allures de canonisation, tant il était vénéré par les fidèles de Reims. Cette femme, avec son mari aujourd’hui décédé, a évidemment élevé ses enfants dans la religion catholique. Ses deux fils aînés ont donc été très proches de l’Abbé Prot avant de devenir des hommes accomplis. Mais un jour, ils ont tout abandonné : travail, épouse, enfants… La fuite, à l’autre bout du monde, sans aucune explication. Terrible blessure pour ceux qui les aiment, et qui n’y ont rien compris. Jusqu’à ce que l’enquête du collectif ne permette de les repérer comme des victimes du prêtre rémois. Grâce à quoi, les liens avec leur famille commencent à se renouer. «Merci Guillaume» commente aujourd’hui leur mère… puisqu’ils devraient bientôt se retrouver.
* Prénom modifié
Aujourd’hui d’autres victimes, cette fois du père Pinard, et du père Peter, commencent à libérer leur parole. Contemporains de l’abbé Prot, ces deux prêtres formaient avec lui un trio qu’on surnommait « les 3 P ». Un autre chapitre reste donc à écrire.