L’ARCHEVÊQUE DE REIMS ET SES DÉFIS

Monseigneur Eric  de Moulins-Beaufort a su qu’il deviendrait prêtre à l’âge de 11 ans. Il est entré au séminaire aprés un cursus universitaire qui l’a conduit de Sciences Po à Paris II pour une maitrise de sciences économiques. Il était évêque auxiliaire de Paris depuis 20 ans quand il a été nommé archevêque de l’archi diocèse de Reims en août dernier par le pape François, succédant ainsi à Monseigneur Jordan. Sa messe d’installation à la Cathédrale de Reims à été suivie par une foule  recueillie…et par les internautes puisqu’elle était retransmise sur facebook. Les fidèles  du diocèse ont ainsi témoigné de leur foi autant que de leur confiance en un homme d’église qui est aussi un homme  de son temps. Ce qui ne l’empêche pas de parcourir beaucoup le diocèse pour « se mettre les lieux dans la tête et dans le cœur. »

Il est un homme de communication. En témoigne l’échange  qu’il organise avec la presse avant même son installation. Aucun sujet tabou, et surtout pas la question de la pédophilie des prêtres qu’il aborde d’emblée comme une priorité. Parce-qu’il en convient, c’est une épine dans le pied de l’Eglise. En particulier depuis 2016 quand, dit-il, la parole s’est libérée. Les premiers qui ont écrit étaient des hommes de 80 ans pour des faits qui remontaient à 1940. « Ils n’en avaient jamais parlé et je n’en avais jamais entendu parler. Il y a tout un climat d’abus  et de violence qu’on ignore. » Le traitement de ces affaires l’a beaucoup occupé en tant que président de la commission doctrinale de la Conférence des Evêques de France. Une ligne de signalement  a été ouverte en Mars 2016 à Paris comme dans de nombreux diocèses, dont celui de Reims. « En Juin Juillet on pensait que c’était fini, mais en fait d’autres affaires ont fait surface. C’est une oeuvre de vérité très utile. Il a fallu regarder en  face des choses qu’on ne voyait pas qu’on ne savait pas dans beaucoup de cas, être lucide sur les comportements humains. Tant qu’on n’a pas rencontré un de ces prédateurs on n’imagine pas que c’est quelqu’un qu’on a connu estimé, on n’y croit pas. Maintenant on sait que c’est possible.Ça nous remet en cause. Il faut distinguer la faille structurée du  dérapage dans des phases de déprime ou de griserie et d’exaltation. Plus qu’avec le célibat des prêtres, le lien est à faire avec la solitude affective. C’est toute la question du type de relations qu’on est capable d’inventer, par lesquelles on est entouré , porté ou pas. Il s’agit de créer une atmosphère d’émulation positive, des relations fraternelles plus intenses plus équilibrées, il faut aussi travailler sur les rythmes de vies, tout ça fait  partie des défis qui nous attendent. »

Mais il y en a beaucoup d’autres, comme celui d’entretenir le dynamisme d’une  région qui perd de la population. Il faut faire vivre l’église avec moins de prêtres dont  beaucoup sont âgés. « Assez vite on va se retrouver avec une soixantaine de prêtes pas plus, dans le diocèse, et il faudra organiser la vie chétienne autrement. On ne verra plus jamais un prêtre  sous chaque clocher. On est passé du catholicisme de masse au catholicisme de choix. C’est une mutation sociologique considérable. Il faudra maintenir le dynamisme spirituel, culturel, social, avec moins de religieuses aussi. Reims a tenté un lien plus riche avec Sénégal. Mais on ne peut pas mettre un prêtre africain ou vietnamien dans chaque paroisse. Ça n’aurait pas beaucoup de sens. L’Eglise n’est pas chargée de l’aménagement  du territoire. »

Plus complexe encore est la question des migrants. « Nous ne vivons plus dans une sociétés homogène , avec une même histoire unanime. Une commune toute entière catholique ou protestante ou franc maçonne, ça n’existe plus. » Le défi serait donc  d’arriver à vivre ensemble sans faire entrer l’immigré dans notre moule, comme autrefois. L’islam  nous impose ainsi le défi de vivre avec des gens différents. « Pendant des années notre pays a fait venir de musulmans dans nos usines comme s’ils n’avaient ni religion ni famille. Le regroupement familial finalement accepté en 1974 nous a fait découvrir qu’ils n’étaient pas qu’une force de travail sans liens ni culture. C’est une réalité dont on a bien profité mais il faut en accepter les conséquences. Il faut se réjouir de la présence des musulmans en France, voir ce qu’on risque de gagner plutôt que ce qu’on  risque de perdre. Les tensions existent, mais elles ne doivent pas avoir le dernier mot. »

Difficile, par contre de transiger sur la PMA  pour le nouvel Archevêque de Reims. « La PMA me remplit de tristesse. Je comprends la douleur des couples qui ne peuvent pas avoir d’enfants. Mais la recherche ne guérit pas de l’infertilité. Nous vivons dans une société  égalitaire ou chacun revendique les mêmes droits pour tous. Notre sociéé s’oblige à fabriquer des parents alors que le lieu d’origine de chacun d’entre nous devrait être l’étreinte. Ce qui fait un humain ce n’est pas un spermatozoide  et un ovule, c’est l’étreinte, la plus vraie possible, portée par les meilleures dispositions. Nous chrétiens nous travaillons pour ça. Ce n’est jamais  parfait mais  c’est le défi de la vie conjugale, une étreinte qui correspond à réalité des sentiments. Donc notre société est partie pour fabriquer des enfants techniquement, et on ne pourra pas s’empêcher d’éliminer ceux qui ne sont pas conformes aux normes, déficients, handicapés, porteurs de maladie, et on ne pourra pas empêcher une sélection. Je suis trés triste parce qu’on rêve d’une société sans souffrance et que c’est un mensonge. La question c’est : comment peut on aider ceux qui souffrent pour rendre notre vie moins douloureuse ?  »

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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