PRÊTRES PÉDOPHILES À REIMS : LES VICTIMES CRÉENT l’ ASSOCIATION « ÉCLATS », POUR QUE LA VÉRITÉ ÉCLATE

« Là où l’Église a failli, la parole se relève ». L’association ECLATS, Ensemble Contre Les Abus Témoigner et Soutenir, énonce clairement ses objectifs : il faut libérer la parole de ceux qui ont subi la pédophilie dans le diocèse de Reims, mais aussi de ceux qui en ont eu connaissance. Guillaume Gellert, victime de l’abbé Prot dans les années 70, est le président d’ÉCLATS. Et Danièle Gaté, figure emblématique de la communauté catholique rémoise, en est la présidente d’honneur. Elle a récemment découvert que ses fils ont été victimes de ce prêtre qu’elle a porté aux nues. Elle se bat aujourd’hui pour la vérité, parce que sa famille, comme beaucoup d’autres, a subi les ravages du silence.

Guillaume Gellert (photo ci dessus) est frappé d’amnésie depuis qu’il a été abusé par l’abbé Prot.  Il mène depuis deux ans une véritable enquête pour identifier ceux qui, comme lui, ont été détruits par des religieux pédophiles, et plus terrible encore, par le silence qui a longtemps entouré ces pratiques. Car le nœud du problème est là : beaucoup pensent, et particulièrement les catholiques, qu’il ne sert à rien de remuer ces terribles souvenirs qui saliraient l’Eglise. Les victimes savent que c’est exactement le contraire. Plus le mal est enfoui, plus il les détruit, plus le silence est inacceptable. Et l’Eglise aurait tout à gagner d’une totale transparence. Voilà pourquoi l’association ECLATS accueille non seulement les victimes de l’abbé Prot, mais aussi celles de deux autres prédateurs, les pères Pinard et Meulendijks qui ont été ses contemporains.

UNE DIZAINE DE « MORTS PRÉMATURÉES »

Selon une des victimes de Daniel Prot, une dizaine d’hommes ayant subi la pédophilie du prêtre dans l’enfance se sont donné la mort, ou se sont laissés mourir. « Ils ne l’ont pas fait rapidement, insiste Guillaume Gellert. Ils l’ont fait parce qu’il n’y a pas eu d’écoute, parce que leur vie devenait invivable. » L’enquête IPSOS, à découvrir ICI, objective clairement ce mécanisme destructeur. Il y a donc une urgence à dire toute la vérité, même si les faits sont anciens et prescrits. Danièle Gaté (image ci dessus), présidente d’honneur de l’association ÉCLATS, veut elle aussi faire passer ce message. «J’apporte mon soutien total à toutes ces personnes blessées depuis tant d’années. Les conséquences sont à vie. On ne peut pas continuer à faire comme si ça n’existait pas. J’ai découvert cette souffrance très ancrée en eux. Je la reconnais pour l’avoir vécue d’une autre façon. Parce que la victime survit jusqu’à sa mort avec ça, même si le prêtre est mort depuis longtemps. Et elle doit se débrouiller seule. » La prise en charge par l’INIRR est une étape importante pour ceux qui en bénéficient. Lire ICI. Mais il faut faire davantage  les mentalités doivent changer. Danièle Gaté en est convaincue : «  les victimes ont besoin de savoir qu’elles ne sont pas seules, qu’elles sont reconnues par la communauté catholique… ce qui n’est pas toujours le cas. Quand on en parle, il faut vite passer à autre chose » déplore cette mère de famille. Catholique convaincue, elle vit la charité chrétienne dans chaque instant de sa vie. Elle a vu ses fils changer de comportement en grandissant et, toujours sans les comprendre, quand ils sont devenus des hommes. « On a mis ça sur le compte de mauvaises rencontres à l’époque. » Elle a découvert très récemment qu’ils étaient des victimes de l’abbé Prot, grâce aux recherches de Guillaume Gellert. Et ces révélations ont une suite qui prouve leur importance : après avoir disparu sans aucune explication, en mettant des milliers de km entre lui et sa vie rémoise, un de ses fils est en train de renouer avec sa famille

DES SILENCES DÉVASTATEURS

Danièle Gaté témoigne donc aujourd’hui avec sa sobriété habituelle, mais non sans conviction. Parce que, dit-elle, « tout ce qui peut atténuer la souffrance de ces victimes est tellement important ! »  Son courage est peu commun. L’association du Sourire de Reims, pour sa part, ne s’est toujours pas engagée comme les victimes l’attendent. Cet organisme était la cheville ouvrière, avec  l’Abbé Prot, des colonies dévastatrices de Clefcy dans les Vosges. LireICI. « Ce que les victimes attendent de cette association, c’est plus qu’un soutien, c’est une reconnaissance publique des faits dans le cadre de ses activités, une reconnaissance au nom de la personne morale de l’association. » Thomas, une des victimes, a rencontré un des anciens moniteurs de Clefcy au mois de janvier dernier. Et il a pu lui confier qu’en 2016, au moment de l’affaire Preynat, d’anciens moniteurs avaient évidemment rapproché le parcours des deux prêtres, convaincus que Daniel Prot serait en prison, comme Bernard Preynat, s’il était encore en vie. « Comment ne pas mieux signifier qu’ils savaient ce qu’il avait fait, commente Thomas. Le silence de l’association est  aujourd’hui insupportable

UNE ASSOCIATION DE VICTIMES POUR QUOI FAIRE  ?

L’objectif de l’association ÉCLATS n’est évidemment pas de déballer un passé sordide, comme certains le pensent encore, mais de s’armer face à l’indifférence. « Elle va nous permettre de fonctionner un peu comme un groupe de parole chez les alcooliques anonymes » explique Guillaume. La stratégie de tous les agresseurs, et de Prot en particulier, est de maintenir les victimes dans leur solitude. « Tu es l’élu, tu es mon préféré, je peux faire ce que je veux de toi. Et ça s’est imprimé dans le cerveau de chacun d’entre nous ». Lire ICI. Le déclic, pour Guillaume, est venu de ses touts premiers échanges salvateurs avec Thomas, la première victime dont il  a retrouvé la trace. D’autres connexions se sont faites, ensuite. Avec Laurent assez rapidement, puis avec tous ceux qui ont rejoint le collectif qu’ils ont crée. Ces trois hommes veulent à présent témoigner sans se cacher, sous leurs vrais noms, « pour que la honte change de camp ». Ils souffrent des mêmes pathologies, des mêmes difficultés, mêmes problèmes familiaux. « Certains faits ne sont audibles que par ceux qui ont souffert des mêmes choses. Les victimes se repèrent, elles se comprennent sans se parler, dit Guillaume. La cagnotte de l’association permettra d’en aider certains, pour assumer le coût d’un psy par exemple. On pourra soutenir ceux qui vont mal.» ÉCLATS a déjà reçu une trentaine d’adhésions. Le lien vers les inscriptions est ICI

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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