L’AVENIR COMPLIQUÉ DU DOMAINE DE COMMETREUIL

Le manoir de Commetreuil, avec ses 150 hectares de prairie et de forêts, est incontestablement un joyau du Parc Naturel Régional de la Montagne de Reims. Le syndicat mixte de ce PNR a tout récemment validé la cession prochaine de l’édifice et d’une partie de ses terres à un groupe hôtelier. Mais d’autres veulent en faire un lieu dédié à la découverte de la nature, accessible à un public familial. Ils sont plus que jamais opposés à la reconversion de Commetreuil en hôtel de luxe. 

 

Le Barn Hôtel qui veut s’implanter à Commétreuil a pourtant de quoi séduire. Edouard Daehn, porteur de ce projet, est fort de la création d’un établissement de ce type au cœur d’un parc naturel de 200 hectares dans la vallée de Chevreuse, à Bonnelles. Depuis 4 ans, ce lieu magique est fréquenté par les amoureux de la nature. Les familles, les cyclotouristes, les randonneurs y assurent d’ailleurs 40% du chiffre d’affaires du restaurant. 

UNE PRESTATION HAUT DE GAMME 

Concernant le Barn de Commétreuil, qui devrait ouvrir en 2025,  Edouard Daehn préfère évoquer «une grande auberge plutôt qu’un hôtel». Il revendique un positionnement haut de gamme plutôt que luxueux. A ses 80 chambres, au prix moyen de 180 euros, l’établissement ajouterait évidemment un café-restaurant de 110 couverts, en partie approvisionné par les légumes du potager. Le site proposerait aussi  un espace bien-être, dédié au yoga ou à la sylvothérapie, associé à une offre d’équitation. Les forêts et prairies sans clôture resteraient accessibles à tous, créant une continuité entre la commune de Courmas et celle de Bouilly où se situe le manoir. Le domaine de Commétreuil deviendrait ainsi « une porte d’entrée pour les 5500 hectares du PNR, dit Edouard Daehn, ses villages et ses forêts.» Le projet  est entièrement porté par des fonds privés à hauteur de 20 millions d’euros. Cette evaluation inclut le prix d’achat du manoir et de 50 hectares de terre. Soit 1,8 millions d’euros versés au PNR, conformément aux prescriptions de l’administration.

DES ATOUTS, MAIS UNE FORTE HOSTILITÉ 

Edouard Daehn prévoit la création d’une cinquantaine d’emplois et une fréquentation annuelle de 25 000 clients. Cette activité générerait 120 000 euros d’impôts et taxes. Le Parc serait débarrassé du gouffre financier de Commetreuil : 100 à 150 000 euros de déficit que le Département et la Région ne veulent plus éponger. Le Comité Syndical du PNR a donc voté pour le Barn Hôtel dès le mois de Mars 2021, par 98 voix contre 13. Deux autres projets ont été rejetés, dont celui de Pierre Emmanuel Taittinger. Celui qui a longtemps dirigé l’illustre maison de champagne de sa famille est aujourd’hui le président de la Mission UNESCO en Champagne. S’il réagit fermement, c’est dit-il, parce que l’hôtel Barn n’est pas conforme à  la charte du PNR de la Montagne de Reims. Il faut se souvenir que c’est à son père,Jean Taittinger alors maire de Reims, qu’on doit la création du parc. « Mon père voulait que ce soit soit une institution publique, un centre d’initiation à la nature accessible à tous.”

NATURE, ENVIRONNEMENT, BIODIVERSITÉ 

40 ans plus tard, le fils de Jean Taittinger n’aurait donc pas d’autre choix que de s’opposer à  Edouard Daehn. Il affirme que ce n’est pas par intérêt, mais pour empêcher un projet qui ne  permettra pas de sensibiliser  le public le plus large à l’environnement, à la biodiversité. Et il déplore que le Grand Reims ne se rallie pas à cette cause en refusant de racheter un domaine qui deviendrait un poumon vert , en particulier pour les citadins. “Ma position est éthiquement très claire, martèle Pierre Emmanuel Taittinger, et je n’ai rien à perdre.” Avec Pierre Singer, l’initiateur du fameux Parc Sainte Croix en Lorraine, il propose donc un modèle d’éco-lodge : cabanes dans les arbres, découverte de la faune et de la végétation, ferme pédagogique… Mais le maire de Bouilly, où se situe le manoir, lamine ce projet selon lui bien moins social et écologique qu’il n’y paraît. « Pierre Emmanuel Taittinger  prévoit un ticket d’entrée à 10  euros et des barrières vitrées pour observer les cerfs, ce qu’il ne dit pas. Les animaux vivraient dans un espace clos de 90 hectares, ajoute Claude Mauprivez,là où le Barn prévoit des chemins de randonnée sans obstacle.» Pour bloquer le  Barn,  Pierre Emmanuel Taittinger conteste la validité du vote des  élus du PNR, effectué à distance pour cause de confinement. Il a déposé  un recours, non suspensif il est vrai, devant le Tribunal Administratif. Claude Mauprivez balaye cette procédure d’un revers de main. «Si le vote est invalidé, on recommencera

DES CAILLOUX DANS LA CHAUSSURE

Pour l’avocate de P.E.Taittinger, l’irrégularité du vote n’est qu’un aspect du litige. Car la non conformité du projet à la charte originelle du PNR serait, d’après elle, plus préoccupante. Et c’est aussi sur ce terrain que maître Heloise Hicter veut porter le débat juridique. En attendant, le PNR a officiellement  annoncé la signature d’une promesse de vente à Édouard Daehn avant la fin de l’année. Mais cet acte est soumis à une autre condition : le dédommagement substantiel du troisième candidat : Loic Fontaine  évincé lui aussi. Ce dirigeant d’Artestate a présenté dès Janvier 2020 un projet hôtelier associé à une cuverie de champagne. Et le Parc lui avait garanti un contrat d’exclusivité dont la durée a été prolongée en raison de la pandémie. La préférence finalement accordée au  Barn Hôtel permet aujourd’hui à Artestate de réclamer une compensation, fixée à  70 000 euros. Cette transaction conditionne la signature de la promesse de vente à Edouard Daehn. Elle vient d’être reportée pour des raisons techniques, à la satisfaction de Stéphane Lang. Cet adjoint au Maire de Reims  est aussi conseiller départemental. Ce qui lui vaut de siéger au PNR où il combat farouchement le projet  Barn, avec  la détermination qu’on lui connaît.  « Je me bats comme je me suis battu à Reims en 2008 pour une grande salle de concert de type Zenith». Il est vrai qu’une immense salle Arena s’est finalement ouverte…15 ans plus tard. Et les fans de musiques actuelles reconnaissent aujourd’hui que le jeune homme avait une longueur d’avance.

COMBLER UN MANQUE

Pour Commetreuil, l’irréductible Stéphane Lang mène  une autre bataille. Il déplore que le manoir et son parc soient vendus pour laisser le champ libre à un hôtel de luxe. Parce qu’une fois la vente conclue, le PNR n’aura plus aucun contrôle sur l’utilisation et l’exploitation du site. Le domaine doit rester, selon lui, un lieu de découverte. «On pourrait concéder un bail emphytéotique qui laisserait  moins de liberté à l’exploitant. Depuis la décision de vendre qui date de 2013, le Covid  et le réchauffement ont imposé un changement de paradigme. Comment espérer que les jeunes protègent la planète si on ne leur fait pas découvrir la beauté de leur environnement ? Oui, ça coûte de l’argent, comme un musée. Mais c’est utile !  Ça peut créer des vocations. » Les convictions de l’élu rémois font leur chemin. L’association qu’il a créée ( Les Amis du Domaine de Commetreuil) est forte de 220 adhésions. «Avec Barn, il faudra changer le PLU pour détruire les écuries et construire une aile supplémentaire au château.» insiste Stéphane Lang. L’association qu’il préside  prépare un dossier de classement au titre des bâtiments historiques. Cette construction  art déco très singulière,  de type manoir normand,ne pourrait plus être modifié. Le bras de fer  administratif et judiciaire ne se relâche pas.













Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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