LES CAVES DE CHAMPAGNE, UN JOYAU À SAUVEGARDER

“Les caves de Champagne sont inscrites au patrimoine mondial de l’Unesco parce qu’elles sont un bien unique au monde, au même titre qu’une cathédrale.” Ainsi pourraient se résumer la passion militante de Philippe Tourtebatte, expert en souterrain. La Mission Unesco lui a logiquement confié la réalisation d’un guide de conservation des caves. Il se déplace pour les ausculter quand on le lui demande. Il s’intéresse à toutes les caves, pas seulement celles qui subjuguent les visiteurs du monde entier.

Son attrait pour la spéléologie et les sous sols date de l’adolescence. Mais c’est d’abord en raison de sa compétence que Philippe Tourtebatte est au centre d’une opération de sauvegarde et  valorisation des caves champenoises. C’est un programme mis en place par la Mission Côteaux, Maisons et Caves de Champagne.

DES TRÉSORS SOUS NOS PIEDS

La première vraie mission souterraine de Philippe Tourtebatte remonte à une bonne quarantaine d’années. L’ingénieur en génie civil d’alors a été chargé par le CNRS de faire un relevé de cavités… en Yougoslavie. Car il existait là un institut entièrement dédié au monde souterrain. A son retour à Reims, Philippe Tourtebatte s’est vu confier le relevé du sous-sol du quartier Saint-Rémi. Celui de l’ancien Collège des Jésuites alors reconverti en hôpital civil, et de la Basilique bientôt classée au patrimoine mondial. L’inventaire de toutes les cavités souterraines de la ville de Reims a suivi. Les caves de champagnes y tiennent évidemment une place majeure. Une encyclopédie des caves est éditée dans la foulée sous la direction de Michel Guillard. Ce travail de fond a beaucoup contribué à l’inscription de la Champagne au patrimoine mondial.

UN PATRIMOINE À VALORISER

“Si on le compare aux autres vignobles classés, notre paysage champenois est quand même très abimé. Par contre les 60 hectares de cavités rémoises sont tout à fait exceptionnels. Pierre Cheval, à l’origine du classement à l’ Unesco, a compris après un premier échec qu’il fallait faire le lien entre la surface et le sous-sol pour l’emporter.” Sur la richesse de ce patrimoine, Philippe Tourtebatte est intarissable. Les crayères de la butte Saint Nicaise en sont incontestablement le joyau. L’Unesco ne s’y est pas trompé. On a pu recenser quelques 3000 puits d’extraction, les escorts. Dès la période gallo-romaine, les blocs de craie ont été utilisés pour la construction. Quelques siècles plus tard, les veuves  Clicquot et Pommery, tout comme la maison Ruinart ont eu le génie d’utiliser la constante température de ces cavités, à 11 degrés, pour la fermentation du champagne , et plus encore

UN MODÈLE D’ÉCONOMIE DURABLE

On disposait ainsi de locaux industriels à bon compte pour la mise en bouteille, le dégorgement, l’étiquetage. L’existant a été recyclé pour la production en sous-sol. C’est un modèle d’économie durable. “On pourrait y penser, commente Philippe Tourtebatte, pour d’autres activités aujourd’hui, dans l’événementiel par exemple. A l’image de ce qui a été fait au Cellier de Reims.” Bucarest est une de ses références. Les anciens abris antiatomiques y sont occupés par des galeries commerciales , des piscines des centre de remise en forme. Au pays des grands froids, on économise le chauffage. Dans l’ancienne Allemagne de l’Est, le restaurant Faust, le plus connu de Leipzig, occupe une ancienne galerie. La volonté politique d’exploiter les sous sols n’existe pas encore en France.

 

 

Philippe Tourtebatte, expert en caves
Philippe Toutebatte

UN POTENTIEL INEXPLOITÉ

On reste à la surface, dans l’apparence des choses. C’est le grand regret de l’expert en cave. ”Les élus des grandes villes n’ont pas toujours conscience de la richesse du patrimoine souterrain.” Pourtant, les maires de Reims et d’Epernay font preuve d’un engagement fort en la matière mais les services ne suivent pas toujours. “On continue de supprimer des cavités, parfois sans raison, déplore Philippe Tourtebatte. Elles sont considérées comme un frein au développement, rarement comme un patrimoine.” L’aménagement du Parvis de Saint Rémi a totalement condamné des crayères romaines magnifiques et très accessibles. Le réaménagement du musée voisin s’est fait sans aucune prise en compte du sous-sol. Idem sous l’ancien Collège des Jésuites à Sciences Po.

UN GUIDE ET DES CONSEILS

Des caves du 17ème, magnifiques, restent des débarras. L’engagement fort de la Mission Unesco fera peut-être changer les choses. Le guide de la conservation des caves qu’elle vient d’éditer est accessible à tous sur son site http://www.champagne-patrimoine mondial.org  Il s’agit bien de là sauvegarde  toutes les caves de Champagne, au-delà des sites classés. Le guide est une mine d’information. Il propose un plan détaillé de toutes les caves accessibles de Champagne. On y découvre évidemment les 110 KM de caves d’Epernay, creusées dès le 19ème siècle pour les besoins industriels. Elle sont rectilignes, dessinées en arête de poisson. Elles n’ont rien à voir avec les crayères gallo-romaines de Reims.

UN SERVICE DE LA MISSION UNESCO

Quant il s’agit du sous sol champenois, Philippe Tourtebatte répond à toutes les demandes qui lui sont faites. C’est une offre très concrète de  la Mission Unesco. Le plus grand danger pour les innombrables caves de champagne, c’est l’eau. Tous les réseaux  sont enterrés. On canalise tous les écoulements dans un tuyau unique, enterré de préférence. S’il y a une fuite, c’est dévastateur pour les caves, parfois jusqu’à 2 ou 3 km en amont. L’ingénieur du Comité  Scientfique de l’Unesco aimerait qu’on revienne à une certaine logique, une forme de simplicité. Les caniveaux apparents seraient beaucoup moins dangereux. Quand on le sollicite, il insiste toujours sur la valeur patrimoniale des souterrains champenois. “Ce sont nos caves qui émerveillent les visiteurs japonais, les cuves en inox beaucoup moins ! D’où la nécessité d’y être attentif.” Taittinger et Laurent Perrier ( image ci dessus) ont déjà confié leurs sous sols à l’expertise de l’amoureux des caves.

 

 

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

You May Also Like