LEURS DEUX VIES ONT ÉTÉ DÉVASTÉES PAR LE MÊME HOMME : IL ÉCOPE DE 10 ANS DE RÉCLUSION CRIMINELLE

Séquestration, harcèlement et viols sous emprise de deux jeunes femmes : un homme vient d’être condamné à 10 ans de réclusion par la Cour Criminelle de la Marne. Celles dont il a détruit la vie à quelques mois d’intervalle se sont trouvées grâce aux réseaux sociaux. Elles ont eu la force de porter plainte ensemble.A l’audience elles ont pu faire le récit de ce qu’elles ont subi. Leur voix s’est souvent perdue dans les sanglots, leur corps s’est effondré à plusieurs reprises. Mais elles ont tenu bon . Ce procès les aidera sans doute à se reconstruire. On pouvait espérer une prise de conscience de l’accusé. Le déclic n’a pas été perceptible  à l’audience.

La Présidente de la Cour a choisi de ne pas confiner l’accusé dans le box. Depuis le banc où il s’est installé dans le prétoire, il assiste aux débats , très décontracté, peu concerné. Rien ne l’atteint. Mais pour ses deux victimes, l’audience réveille d’insupportables souvenirs. Entre les larmes et les cris, elles sont prises de tremblements et de spasmes. Elles avalent fébrilement leurs cachets, ce qui ne les met pas à l’abri d’un malaise. Comment ont-elles pu en arriver là ?

UN GARÇON  TRÈS INSISTANT 

A quelques mètres de celui qu’elles ont aimé, les deux jeunes femmes s’accrochent l’une à l’autre pour se donner des forces. Depuis qu’elles ont mis fin à leurs liaisons toxiques  avec l’accusé, elles ont refait leur vie. Leurs petits copains sont là, ils ne les lâchent  pas. Lara* est vendeuse dans un bureau de tabac. Elle a 23 ans. Anna*en a 25. Elle fait des études de lettres tout en travaillant chez Lidl, pour assurer. Elles ont toutes les deux commencé à vivre avec cet homme à un moment où leurs relations familiales se sont compliquées. Les histoires des ces deux liaisons, un peu précipitées à leurs goût, se ressemblent. Lara* a 15 ans quand elle  rencontre Stefen*. Il n’a pas encore 18 ans. Ils étaient scolarisés au Lycée Gustave Eiffel à Reims. Les deux ados sont  sans doute un peu paumés. Elle est en rupture avec sa mère, celle de Stefen* n’a jamais été très présente. D’où son choix de vivre en foyer depuis quelques années déjà. 

QUAND L’AMOUR  VA TROP VITE 

Très vite, il lui déclare sa flamme avec fougue.  Mais la relation devient rapidement  toxique et violente. Lara* parvient à le quitter au bout d’un an grâce au soutien de ses parents. Anna* entre dans la vie de Stefen  quelques mois plus tard . Leurs échanges  commencent sur facebook. Elle a 18 ans. Il n’a pas de travail, mais il cherche. Elle est séduite et trompée par son discours. Leur première fois arrive par surprise, un peu précipitée, et même forcée pour celle qui voulait arriver vierge au mariage. Elle  aussi est en conflit avec sa mère. “Je fuis la maison pour vivre avec lui”. Ils n’ont pas de logement, au point qu’il leur arrive même de dormir dehors. Et c’est elle qui fait finalement bouillir la marmite. Elle assume le loyer  de leur appartement d’Epernay…et tout le reste. Ils forment un couple, ce qui colle avec l’éducation traditionaliste qu’elle a reçue. Elle veut y croire, au point de se pacser avec lui. Mais l’apparence est trompeuse. 

DE L’EMPRISE AUX VIOLS  

Après Lara, l’emprise s’abat sur Anna*. Ce processus fréquemment décrit les conduira toutes les deux à la culpabilisation. Elles se  scarifient, elles tentent de se suicider. Car le contrôle s’exerce sur les sorties, les vêtements, les fréquentations, le téléphone. Et les coups pleuvent, bien sûr, jusqu’à des fractures de côtes pour l’une et l’autre. Les humiliations sont encore plus dévastatrices. “En s’étouffant dans les sanglots, Lara* parvient à faire  la description insoutenable d’une fellation forcée sous la menace, les poings levés. Après ce récit devant la Cour, elle dit en aparté qu’elle n’a pas eu la force de raconter tout ce qu’elle a subi. C’est pourtant bien cet épisode terrifiant qui lui donnera le courage de sortir de l’enfer. Mais elle ne sera plus jamais la même. La jeune fille romantique à la longue chevelure blonde est passée au piercing et aux mèches métallisées. Elle a même tenté une relation homosexuelle, dit son père. Elle espérait se reconstruire. 

DEUX SOUFFRANCES EN MIROIR

Anna* devient la seconde victime de ce cauchemar. Stefen* entre dans sa vie un an après la rupture avec Lara*et le sexe envahit leur relation. “Il voulait en faire un chien” raconte un témoin. Leurs voisins devront s’habituer aux cris et aux coups, au bruit des portes défoncées et des meubles fracassés. Les séquestrations et  les violences physiques s’ajoutent au harcèlement. “Je sais qu’il y a eu un rapport, dit Anna*, mais je n’arrive pas à savoir comment c’est arrivé.” Et la perversité achève ce laminage. “Tu vois j’ai été gentil, je t’ai mis ta série préférée pendant ce temps.” Les violences sexuelles sont interminables, durant parfois jusqu’à 10 heures, et souvent suivies d’excuses. “Je n’arrivais pas à me détacher parce que j’ai toujours eu de l’espoir. Je pensais qu’il allait changer.” Le couple a même pu se confier à une éducatrice du club de prévention, puis à une conseillère du Centre de Santé Sexuelle. Sans doute n’ont-elles pas pris la mesure de la gravité de la situation. Aucun signalement n’est fait.

LA PHOTO DE TROP 

Il  y a pourtant eu “des tonnes de viols” comme l’écrit “Anna” dans un SMS, au point que son corps en a été abîmé dans le plus intime. Jusqu’à ce viol assorti d’un raffinement supplémentaire : elle est contrainte de fixer l’image qu’il lui colle sous les yeux, tout  en abusant d’elle. Il s’agit du portrait de Lara* avec laquelle il a repris contact. C’est l’humiliation de trop. Anna* est convaincue que cette jeune femme est la personne qui saura la comprendre. Les réseaux sociaux lui permettent de la contacter facilement. Elle ne s’est pas trompée. Elles vont effectivement porter plainte ensemble et elles font bloc à l’audience. “ J’aimerai qu’il paie, mais il ne paiera jamais assez dit Lara*. J’aimerai qu’on le casse martèle  Anna* à son tour, je voudrais être la dernière. Si j’avais rencontré quelqu’un de normal, j’aurais été heureuse. ” 

                                                                     

DU REFUS AU CONSENTEMENT ?  

L’avocate de Stefen* tente de construire sa défense autour de la difficile appréciation du refus/consentement dans toute relation sexuelle. “Parfois vous n’aviez pas envie et finalement après un certain temps, il y avait un rapport, résume Maitre Ludivine Braconnier. Ça s’appelle sortir de son corps, répond Anna. Et comment  pouvait-il faire la différence, si vous ne dites pas non ? Mais c’est justement parce que j’ai dit non qu’il me harcèle pendant une heure.” Quand on rappelle à l’accusé que les pénétrations peuvent même intervenir pendant le sommeil d’Anna*, il répond que c’est un jeu.  « Elle dit non et vous insistiez. Oui parce que j’en ai envie. Vous avez eu des rapports  en sachant qu’elles ne voulaient  pas. Oui. Avez-vous le sentiment de les avoir violées? Oui.Comme les débats qui l’ont précédé, l’interrogatoire de personnalité de l’accusé est conduit par la Présidente de la Cour et ses assesseurs avec beaucoup de finesse.

SANS L’OMBRE D’UN REGRET 

L’Avocate Générale tente elle aussi de confronter l’accusé à ses contradictions. Mais l’audience permettra surtout de comprendre que son raisonnement  obéit à des critères qui lui appartiennent. “Il n’a pas conscience de son comportement toxique”  a dit un des experts. Les reproches qui lui sont faits correspondent selon lui à des  représailles légitimes. Il n’a donc pas eu d’autres choix que de  surveiller et de punir ses compagnes. La victimisation, les représailles sont invoquées en boucle. “Fallait pas qu’elles me trompent…Je les aimais. Je suis la conséquence de ce qu’elles ont fait”… même s’il n’a pas été trompé. “Moi je veux protéger mon couple”. Et s’il a pu serrer Anna  et la jeter au sol au point de lui casser les côtes, c’était pour l’empêcher de sauter par le balcon. “Moi je veux juste l’empêcher de se suicider. J’ai tenté de la protéger d’elle-même”. Et quand on le met en face de ses incohérences : “Pour me comprendre, il faut que vous entriez dans mon jeu “

*Les prénoms ont été modifiés. 

 

 

     

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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