J’AI HONTE D’ÊTRE ICI QUAND LES AUTRES SYRIENS SONT SOUS LES BOMBES

  1.  La révolution Syrienne, elle en était dès les premiers jours et elle le revendique avec fierté. « J’ai toujours rêvé de démocratie et j’attendais avec impatience qu’une révolution nous permette d’y accéder. Mais ma mère m’a fait comprendre que je faisais peser de lourdes menaces sur toute ma famille.  J’ai du quitter la Syrie mais je continue à agir. » Nada Mohamad est une réfugiée politique qui vit à Reims depuis 4 ans. L’association qu’elle a crée avec une amie accompagne les enfants syriens détruits par la guerre. Pour qu’ils se reconstruisent avant de reconstruire leur pays.

Elle avait toujours rêvé d’une révolution. Pour l’étudiante qu’elle était en 2011, le printemps arabe a été une renaissance . « Si j’avais pu choisir mon époque, j’aurais choisi celle de la révolution syrienne. Je suis née le jour ou j’ai pu crier « liberté » dans la rue. » Avant dernière d’une fratrie de 10 enfants, elle manifestait avec sa sœur jumelle, alors que sa famille alaouite était politiquement divisée. Entretenue depuis près de 50 ans par Assad père et fils, la terreur fait son oeuvre et beaucoup n’ont d’autre choix que de s’y soumettre. Deux des sœurs  de Nada sont mariées à des chefs militaires quand  le reste de la fratrie les combat. Les alaouites sont affamés par le régime, il n’ont d’autre solution que de s’enrôler dans l’armée pour survivre.

UN POUVOIR ASSIS SUR LA PEUR

La jeune femme décrit un peuple dont les  multiples minorités confessionnelles ou ethniques sont soumises par la crainte et la pauvreté, bombardées et gazées  par un régime qui prétend ainsi les protéger de la menace sunnite. « On est entré dans la révolution parce qu’on n’avait plus rien a perdre. On risquait de mourir mais on n’avait pas le choix, il fallait  sortir dans la rue pour vivre. On croyait que tout était possible. » Le parcours révolutionnaire  de Nada  se double d’une histoire d’amour. Elle rencontre son mari, qui est comédien, dans la rue. Elle le suit en  Egypte d’abord puis en France quand il est sollicité pour participer à un festival à Grenoble. Ils partent sans une photo, sans un souvenir. Ils pensent  rentrer trés vite . Le régime perdait du terrain, l’armée contre révolutionnaire prenait du poids. Ils y ont cru mais les manifestations ont été  réprimées dans le sang.

LA CONTRE RÉVOLUTION À ÉTÉ PIRE QUE LA DICTATURE

Nada et son mari ne rentreront jamais en Syrie. Ils étaient en France, ils se sont  dit qu’ils pouvaient  être utile depuis l’Europe et faire avancer la révolution. Ils ont atterri à Reims parce qu’ils y connaissaient des réfugiés syriens qui avaient fuit le régime d’Hafez al-Assad 30 ans plus tôt. Ils ont  vécu chez eux d’abord. Mais les formalités  n’en finissaient pas, ´tous les hébergements étaient complets. Alors ils se sont  installés à la mosquée jusqu’à ce qu’on leur reconnaisse un statut de réfugiés politiques après  8 mois. Le mari de Nada est resté comédien. En Syrie il avait inventé le « Théâtre de Chambre »  avec son frère jumeau, ce qui lui a valu d’etre nominé au Guiness des records comme le plus petit théâtre du monde. Maintenant il tourne en France avec un spectacle  inspiré de leur galère de réfugiés. Dans un mois ils vivrons sans le RSA et ce sera une victoire. « Nous pourrons payer des impôts dans ce pays qui nous a accueilli.  Je compte toujours sur la loi et la justice en France et j’espère qu’on y arrivera en Syrie . » Nada a poursuivi  ses études à Reims jusqu’à un master d’anglais ce qui lui permet de travailler comme traductrice pour l’association qu’elle a créée avec une amie,  chercheur en psychologie. « No Lost Génération in Syria » veut apporter un soutien psychologique aux enfants syriens traumatisés par la guerre.

Des protocoles de prise en charge ont été établi en lien avec les équipes qui encadrent ces enfants sur  place. Les résultats de ce programme de recherche  testé sur 137 enfants sont trés  encourageants. Mais cette collaboration à distance a ses limites. « Comme on ne peut pas rentrer en Syrie on va créer un autre centre en Turquie, où  il y a beaucoup de réfugiés syriens, pour y accéder sans problème  et rencontrer les associations sur place. » Nada s’est engagée dans ce projet avec l’énergie du désespoir. Tout faire pour  tenter de sauver cette génération qui va reconstruire le pays plus tard, après. Se battre sans brandir les armes, avec ses compétences en langue arabe, anglaise et française…et en musique. Avec les étudiants musiciens de Sciences Po elle a créé un atelier qui veut rapprocher les cultures de l’orient  et de l’occident

AUJOURD’HUI JE ME SENS COUPABLE

« Là bas les gens sont privés de tout, les enfants ne savent pas ce qu’est un crayon , un morceau de chocolat. Et moi je vis bien ici, j’ai une assurance maladie, je peux prendre un café tranquillement, je marche dans la rue sans crainte d’être bombardée. Pourquoi j’ai eu moi la chance d’être en France, d’être réfugiée politique, pendant que des syriens qui ne sont pas moins intelligents que mois vivent dans des camps sans électricités, sans chauffage, dénués de tout ? Tant que Bachar el Hassad sera au pouvoir il n’y aura jamais la paix. Pour nous c’est impossible de transiger avec lui. Le vrai président de la Syrie  c’est Poutine et le régime Iranien. On peut négocier avec la Russie mais pas pour laisser le pouvoir à Bachar al-Hassad. Il faut négocier la transition vers la démocratie après son départ. J’essaie de faire ce que je peux, mais je me sens coupable et désespérée quand Bachar al-Assad ose franchir la ligne des armes chimiques. Il n’y a aucune sanction. » Emmanuel Macron vient de déclarer que la France frapperait le lieu d’où les armes chimiques ont été envoyées s’il y a des preuves. En attendant, avec ou sans arme chimique, les  bombardements de l’enclave rebelle de la Ghouta viennent de faire  200 morts en 3 jours parmi les civils.

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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