QUAND LE TATOUAGE JAPONAIS SE RACONTE À REIMS

 “Le Japon dans la peau”, exposition bien nommée au musée le Vergeur de Reims, suggère que les tatouages qui y sont présentés sont aussi des oeuvres d’art fascinantes et engagées. Ils racontent  un pan souvent mal connu de la culture et de l’histoire japonaise. Et cette découverte nous rappelle aussi qu’Hugues Krafft, mécène globe trotter du 18ème siècle, a rapporté de ses voyages d’innombrables témoignages, photographies et aquarelles. Devenu musée, l’hotel rémois qu’il a restauré trouve ici une nouvelle opportunité  de présenter quelques uns de ces trésors cachés.

Comme beaucoup de ceux qui se passionnent pour le Japon, Xavier Durand, à qui on doit cette exposition, a commencé par s’intéresser aux samouraïs. Les estampes japonaises, imprimées à l’aide de pièces de bois, une pour chaque couleur, ont été un passage obligé de cette prospection. Ces longues recherches lui ont inévitablement fait approcher les  tatouages japonais, saisissantes figures ornementales.

AU DELÀ DES YAKOUZAS

Très différents des tatouages occidentaux du 19ème siècle, ils sont un autre support de l’expression artistique au pays du soleil levant. Elaborée avec l’appui d’un collectif d’historiens, chercheurs, et  spécialistes du Japon, l’exposition veut aussi démystifier l’image des yakouzas. Les tatouages contemporains de ces maffieux japonais, abondamment exploités au cinéma, interpellent le spectateur peut-être plus encore que leurs crimes. Dans une toute autre approche, les images saisissantes du “Japon dans la peau”, créations anciennes ou contemporaines, investissent aujourd’hui l’imposante salle gothique du Musée le Vergeur.

FASCINANT DEPUIS TOUJOURS 

Et cette « occupation » n’est pas le fruit du hasard. Car lorsqu’il était le maître des lieux, Hugues Krafft a été de ces voyageurs fortunés qui, au 19ème siècle, se devaient de découvrir le monde en un ”grand tour”. Un tour du monde autrement dit, à l’origine du tourisme que l’on connaît aujourd’hui. Avec l’Égypte, le Japon est devenu la destination phare des occidentaux voyageurs, d’autant plus  que les portes du pays ne se sont ouvertes qu’au milieu du 19ème siècle.  C’est ainsi que ces nantis ont découvert les tatouages japonais, d’abord dans la rue, sur les tireurs de pousse pousse. Leur corps d’athlète presque nu, mais entièrement recouvert de ce qu’il faut appeler des oeuvres, est un signe d’appartenance à une corporation d’homme courageux. Car il faut supporter la douleur, dans une sorte de rite initiatique, avant de les arborer.

UNE REVENDICATION

Ils mettaient beaucoup d’orgueil, écrit Hugues Krafft, à exhiber sur leur chair un maillot indélébile.” Et comme les photos de l’époque ne pouvaient pas en restituer les nuances gris bleu, Hugues Krafft a choisi de les immortaliser sur des aquarelles qui sont évidement  présentées au Musée Le Vergeur. Les estampes rapportées du Japon par Alfred Gérard , autre grand voyageur rémois du 19 ème siècle, participent  au récit.  Le tatouage, aujourd’hui clandestin, a été totalement interdit au Japon en 1872 à un moment où il fallait se fondre dans la morale victorienne. La nudité est interdite dans le même temps pour gommer l’image d’un peuple tribal  mais aussi pour mettre fin à une forme de revendication silencieuse. Ces tatouages ornementaux sont venus parfois recouvrir le “marquage” des criminels tel qu’on le pratiquait au Japon. “Ils sont  une façon de montrer qu’on ne fait pas partie de la société, explique Xavier Durand,  et en ce sens, on est contre, on ne se soumet pas au gouvernement.”  

 

                                Xavier Durand

UNE LIBERTÉ

Bien plus  qu’un affichage esthétique, “le Japon dans la peau”est donc une exposition qui prend le parti de décrypter la symbolique du tatouage, en allant plus loin que les stéréotypes véhiculés par les films de yakouzas des années 70. Comment ne pas s’interroger, en marge de cette exposition,  sur la généralisation actuelle du tatouage en France et en occident. “On est dans un monde où l’espace culturel est très normé, balisé. Reste sa propre peau pour exprimer une démarche artistique populaire. On a la liberté totale de marquer son corps comme on l’entend, commente Xavier Durand. C’est la seule chose qui n’appartient qu’à soi. C’est une revendication de liberté.”

LES INFORMATIONS PRATIQUES SUR L’EXPOSITION SONT ICI

 

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

You May Also Like