DENONCER LE VIOL, SANS HONTE

L’auteur de deux viols commis à Reims à 4 mois d’intervalle a été identifié grâce aux prélèvements effectués sur les victimes après leurs plaintes. Ce crime était passible de la Cour d’Assises. Elles ont voulu qu’il soit correctionnalisé pour accélérer la procédure. Leur violeur vient d’être condamné à 5 ans de prison, la peine maximale devant un Tribunal Correctionnel. Une des victimes choisit de briser le tabou sans honte, par solidarité avec toutes les femmes meurtries comme elle, ou menacées de vivre un jour cette souffrance. 

Trois heures du matin dans le centre de Reims. La jeune femme vient de passer la soirée avec des amis. Ils se sont quittés après quelques verres et une très bonne bouteille de champagne. Carine* habite à 10 minutes de là. Elle rentre chez elle à pied. Les écouteurs collés aux oreilles, elle  marche d’un bon pas et en musique comme à son habitude. 

UN SCÉNARIO TELLEMENT BANAL 

« Je suis tombée sur lui, sans savoir d’où il sortait. Il m’a demandé une cigarette, je lui ai dit que je n’en avais pas, mais j’ai pensé qu’il valait mieux lui parler. Parce que maintenant quand on rabroue quelqu’un dans la rue on se fait insulter.» Ils avancent donc, jusqu’à ce qu’elle s’arrête devant la porte de son immeuble. Il fait mine de continuer. Elle met la clé dans la serrure, et c’est à ce moment-là qu’il revient sur ses pas pour entrer de force avec elle. « Il ne sourit plus, il a un regard noir, haineux, violent.  Plus je le repousse, plus il est agressif. » L’homme a une carrure d’athlète. Il la gifle, lui tire les cheveux, la force à se mettre à genoux. Les ecchymoses ont mis du temps à disparaître. Après une fellation forcée, il la plaque contre le mur. Puis il commence à l’étrangler avant de disparaître avec son portable. Elle ira porter plainte au commissariat de Reims le lendemain matin. Son récit interpelle une brigadière. 

UN ACCUEIL BIENVEILLANT,  ADAPTÉ 

Une étudiante contrainte de faire une fellation dans un jardin public a déja  porté plainte il y a 4 mois. Il faut comparer l’ADN des deux prélèvements. Les similitudes  entre les deux affaires sont troublantes. La jeune fille avait été suivie et agressée tard dans la nuit en rentrant chez elle. Le violeur s’exprimait dans les deux cas avec le même accent arabe. Les deux femmes se ressemblent physiquement. L’ADN confirme rapidement qu’elles ont eu à faire au même homme. Il se dit de nationalité syrienne. Pendant son procès à huis clos devant le Tribunal Correctionnel de Reims, il a prétendu qu’il avait bu et consommé des stupéfiants, ce qui l’empêchait de se souvenir de quoi que ce soit. Il n’a exprimé aucun regret. Mais tout comme l’autre victime, Carine affirme qu’il n’était ni ivre, ni drogué. D’ailleurs, les vidéos montrent qu’il ne titubait pas. L’avocat de la jeune femme, Maître Romdane (sur l’image ci dessus) regrette que cet homme n’ait pas été jugé devant une Cour d’Assise. 

UNE JUSTICE RAPIDE

Devant un Tribunal Correctionnel, sa condamnation ne pouvait pas être supérieure à 5 ans d’emprisonnement. «Tout le monde me dit que ce n’est pas assez » dit Carine*. Mais l’une comme l’autre ne voulaient pas attendre deux ans, au moins, avant qu’il ne soit jugé. «On espère aussi que son obligation de quitter le territoire sera respectée.  «Je reste sur ma faim, commente l’avocat de Carine, je suis sûr que d’autres femmes n’ont pas osé porter plainte. » Et il salue le courage des victimes. «Il n’y a pas de honte à sortir le soir, et à s’amuser. C’est un droit pour tout le monde, même pour des jeunes femmes.» A l’occasion du premier procès, finalement renvoyé, trois compatriotes du prévenu étaient venus le soutenir dans la salle. Les deux victimes ont eu du mal à supporter leur regards insultants, intimidants. Au point qu’elles ont demandé le huis clos pour la seconde audience, afin de n’avoir  pas à subir la réprobation affichée par les trois hommes. 

LIÉES DANS L’ÉPREUVE 

Les deux jeunes femmes se sont soutenues dès le début. Elles sont tombées dans les bras l’une de l’autre, en larmes, quand elles ont pu identifier formellement leur violeur au commissariat. « Magalie* est plus jeune que moi. Je me suis dit, il ne faut pas que je craque, il faut que je la soutienne. On a fait toutes les démarches ensemble. » Leur parcours depuis ce terrible choc se ressemblent en tout point. La honte, le sentiment d’avoir été salie, la peur du regard des autres. La crainte d’être rejetée par leur compagnon, ce qui n’a pas du tout été le cas, au contraire. « Mais on ne peut pas oublier, c’est clair. Je vais essayer de vivre avec, et d’en sortir plus forte. Je dois me servir de cette expérience pour avancer.»  Les anxiolytiques et les antidépresseurs font désormais partie de la vie de Carine. Son père est lui aussi détruit par ce qui est arrivé à sa fille. « Son numéro est le seul dont je me suis souvenue au commissariat. Je n’avais plus de portable. C’est lui que j’ai fait appeler pour qu’il vienne me chercher. Je revois encore le visage défait  de mes parents.»

ÇA  N’ARRIVE PAS QU’AUX AUTRES

Mais depuis ce 2 Juillet, les réunions de familles ne sont plus ce qu’elles étaient. Carine a été reçue trés vite par sa psychologue après l’agression. La séance a duré trois heures et demie. « Trois heures  pour m’alléger de ma culpabilité. Je me disais que c’était de ma faute, que je n’aurais pas dû faire la fête. Et puis jesuis restée prostrée chez moi pendant une semaine. » Heureusement, quand je suis revenue travailler le soutien de mes collègues a été incroyable. Je n’ai rien voulu cacher. J’ai été accueillie par des fleurs, des post-it et des banderoles de bienvenue. Il n’empêche : Carine sait qu’elle ne marchera plus jamais seule le soir dans la rue. Et elle recommande à toutes les femmes de ne pas le faire. « Ne sortez pas toutes seules la nuit. Faites vous accompagner, ça n’arrive pas qu’aux autres.  Je sais, c’est une régression. Mais je crois qu’on n’a pas le choix. Et surtout, allez porter plainte.  » Depuis ce viol, elle pense à s’engager a pour être utile aux autres. Les « me too » et autres militantes féministes ont pu l’agacer parfois. C’était avant. Aujourd’hui son regard a changé. « Tant qu’on ne l’a pas vécu, on ne peut pas comprendre. » 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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