MASQUE DE PROTECTION AU TRAVAIL : ANTHONY SMITH A-T-IL EU RAISON TROP TÔT ?

La pandémie du Covid 19 venait d’être décrétée quand Anthony Smith a été mis à pied. L’inspecteur du travail était allé jusqu’à saisir la justice en référé “pour que les employés d’une association d’aide à domicile de Reims soient mieux protégés”, notamment par des masques. Depuis Bar-le-Duc, où il a été muté d’office après une suspension de 5 mois, le fonctionnaire et délégué syndical demande que la justice le réintègre dans son poste, à Reims. Ce que la rapporteure publique a préconisé à l’audience du 28 Septembre devant le Tribunal Administratif de Nancy. Au-delà de l’enjeu judiciaire, “l’affaire Anthony Smith” vient évidemment raviver la question sensible  de la gestion calamiteuse du port du masque en France.   

En Mars 2020, les délégués du Comité Social d’Entreprise de l’ARADOPA, une association rémoise  d’aide à la personne, alertent l’inspecteur du travail Anthony Smith. Des clients sont emportés par la COVID, des salariés sont contaminés. Ils dénoncent le manque d’équipements appropriés pour les intervenants à domicile : masques, charlottes et surblouses. Un véritable bras de fer s’engage alors entre  Anthony Smith et la direction.

LIMITER LA CONTAMINATION

“Jene demandais pas que des masques. Je demandais la réorganisation d’un travail préjudiciable à la santé ; qu’on vérifie que les gens ne soient pas malades avant de rentrer chez eux, qu’on évite de les envoyer chez plusieurs personnes, pour ne pas répandre le virus.” Mais il est lâché, et même enfoncé par sa propre hiérarchie à l’Inspection du Travail. C’est ce qui le pousse à déposer un référé contre l’ARADOPA devant le Tribunal Judiciaire de Reims. Il s’appuie notamment sur les textes de l’Organisation Mondiale de la Santé. L’OMS préconise clairement une protection contre les postillons. Mais l’Etat français n’adhère pas, faute d’être suffisamment pourvu en masques. Anthony Smith est  mis à pied le 15 Avril 2020. Le lanceur d’alerte a finalement été réintégré, mais à Bar-Le-Duc après 5 longs mois. Anthony Smith est le représentant syndical CGT de tous les inspecteurs de France au Conseil National de L’inspection du Travail. 

UNE VOCATION INTACTE 

C’est donc en syndicaliste  qu’il s’exprime aujourd’hui, et son militantisme ne faiblit pas. “Le Code du Travail, commente le fonctionnaire, n’a d’autre but que de faire appliquer les droits humains afin de permettre aux personnes de travailler dans des conditions normales. J’ai constaté que ce droit n’était pas respecté. Et on a voulu m’empêcher de remplir ma mission : faire respecter la protection des salariés. » Celui qui a depuis été candidat aux dernières législatives sous la bannière de la France Insoumise insiste : “Les inspecteurs du travail sont des fonctionnaires très particuliers. Ils sont indépendants de toute influence, ils ont le droit d’entrer de jour comme de nuit dans tout établissement assujetti au contrôle. Ils ont un droit d’enquête, d’audition. Et ça gène le pouvoir et les entreprises. Parce que l’application du droit du travail continue d’être perçue comme un frein au développement de l’entreprise.”

LE SOUTIEN DE L’OPINION 

Le combat d’Anthony Smith a reçu le soutien de tous les syndicats sans aucune exception. La pétition qui réclamait l’abandon des poursuites  a reçu 180 000 signatures. Les manifestations de solidarité se sont multipliées. Pour Anthony Smith l’audience de ce mercredi devant  le Tribunal Administratif d’Appel  de Nancy doit permettre de dénoncer la sanction de sa mutation d’office à Bar le Duc. “Si cette sanction n’est pas reconnue par le juge, l’Etat devra en tirer immédiatement les conséquences et me réintégrer sur mon poste et dans mes fonctions à Reims« . Son attente est légitime. Car des leçons ont été tirées de la pandémie, des responsables ont été recadrés après la crise retantissante de l’ARADOPA. Anthony Smith se souvient d’une mise à pied rocambolesque

UN MAUVAIS POLAR 

Notification à mon domicile et par huissier de la saisie de son téléphone, interdiction d’accéder aux mails professionnels . Ils m’ont déclaré une véritable guerre sociale.  Le préfet de la Marne, Pierre N’Gahane, très vindicatif contre moi, annonçait en réunion  au lendemain de ma suspension, qu’il avait un dossier énorme sur Anthony Smith et que je nuisais à l’économie du département.” Ce préfet a été muté comme recteur à Dijon. Mais ce n’est pas tout. Le directeur général de l’Inspection du Travail, a démissionné en septembre 2020. “Désavoué par sa ministre” commente Anthony Smith. La directrice de l’Inspection du Travail de la Région Grand-Est, visée par les plaintes de  cinq syndicats de la Direccte du Grand Est, est mutée en Auvergne-Rhône-Alpes, et celle de la Marne est aujourd’hui adjointe à la nouvelle Direction Départementale de l’Emploi. “Je n’en tire pas de conclusions mais tous ces changements de postes se sont tout de même succédés assez vite. » 

RECUL ET MEA CULPA

Le responsable syndical rappelle aussi le  premier recul d’Elisabeth Borne nommée Ministre du travail. “Elle est revenue sur la sanction. J’avais été muté dans un placard en fait, un poste qui n’existait pas, en Seine et Marne. Le 9 Septembre elle m’a réintégré à l’Inspection du Travail, dans ma région à Bar-le-Duc, et dans mes mandats syndicaux. Et en décembre 2020, le ministère prendra une directive qui dira mots pour mots ce que je demandais, et qui m’a valu d’être sanctionné.” Cerise sur le gâteau, le porte-parole du gouvernement Borne était ministre de la santé quand Anthony Smith a été mis à pied. Dans le livre autobiographique qu’il vient de publier, Olivier Veran  reconnaît des erreurs sur la gestion des masques de protection. En deux ans, la mutation-sanction d’Anthony Smith aura décidément perdu beaucoup de sa légitimité. La rapporteure publique a d’ailleurs demandé la levée de la sanction prise contre le fonctionnaire. Le Tribunal Administratif tranchera mi octobre  

 

La sanction qui frappait Antony Smith a été annulée par le Rtreibunal Adminstratif de Nancy le 20 Octobre 2022




Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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