UN POLICIER RÉMOIS DEVANT LES ASSISES : IL A ÉBORGNÉ UN SUPPORTER CORSE D’UN COUP DE MATRAQUE

Entre le moment où Christophe Mercier est sorti de sa voiture de fonction , et celui où son bâton télescopique de défense a frappé Maxime Beux alors qu’il tentait de s’enfuir, il ne s’est pas  écoulé plus de 5 secondes. Mais pour comprendre les circonstances de cette interpellation, la Cour d’Assises étudie dans le détail le parcours des supporters corses, depuis leur  arrivée à Orly le matin, jusqu’au placement en garde à vue de 9 d’entre eux au Commissariat Central de Reims, bien après le match.

 

Dans la salle d’audience, Maxime Beux suit les débats avec dignité. Une prothèse fait presque oublier la perte de son œil gauche. Ses lunettes et ses chemises claires lui vont bien. Sur le banc des parties civiles, sa jeune compagne lui apporte manifestement un soutien sans faille. Il a 28 ans aujourd’hui. Il en avait 22 quand une interpellation musclée a fait basculer sa vie d’étudiant de l’université de Corte. Il y préparait un master en sciences du management. Devant les jurés des Assises de la Marne, il se présente comme un hommme sensible, porté par des valeurs authentiques, passionné par le foot depuis l’enfance. Il maitrise admirablement le verbe. Mais il omet d’évoquer les deux condamnations  que lui ont valu ses débordement en marge  de rencontres Bastiaises. Et  la séduction opère quand il fait un récit angélique de la virée des supporters du RC Bastia à Reims.

LE « SUPPORTERISME » MIS A MAL

Au Stade Delaune, ce 13 Février 2016,  Bastia a battu les rémois, 1 à 0.  La pression déjà palpable avant le match, n’est pas retombée pour autant. Ceux qui sont chargés d’assurer la sécurité des rencontres, au stade ou au commissariat, défilent à la barre. Olivier Fromentin est fonctionnaire de police au commissariat. Il  appartient au service des renseignements territoriaux. Ce « RG Foot » est plus spécialement chargé d’observer les mouvements des supporters de chaque camp pour anticiper les dérapages. Sur sa moto, il  les repère, il suit leur progression, il les aborde quand c’est possible, il les prend en photos. La rencontre de ce samedi n’est pas classée à risque par la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme. Mais il se dit inquiet, dès le milieu de l’après-midi. Les déplacements des corses dans la ville n’ont pas été annoncés contrairement aux usages très codifiées de ce qu’on appelle le « supportérisme ». Un bus, balisé Clamart, a déposé  une soixantaine de corses près de la Cathédrale, Place Saint Symphorien, alors qu’il est d’usage pour les supporters,  d’utiliser le parking du stade. Les passagers commencent par visiter la Cathédrale.

UNE HOSTILITÉ AFFICHÉE

Certains, dont Maxime Beux, y déposeront un cierge. Il se plait à le préciser à la barre : la religion compte  dans sa vie. Avec ses compagnons du club Bastia 1905, il s’achemine ensuite vers la Cours Langlet, jusqu’à un premier bar. Olivier Fromentin raconte qu’il a tenté d’entrer en contact avec eux, parce que sa mission consiste justement à accompagner les supporters pour éviter tout dérapage. C’est l’usage. Mais les Bastiais l’accueillent avec des propos orduriers. « J’en conviens, commente Maxime Beux, on n’avait pas envie d’être embêtés.» La télé retransmet ce jour-là un match de rugby. L’hymne national est sifflé. Olivier Fromentin prévient ses collègues par radio « Ils ne nous aiment pas du tout ». Les Bastiais se dirigent vers un bar de la place Stalingrad, plus près du Stade. C’est un peu le QG des rémois. Un fumigène explose dans les parages. La tension monte. Sur le pont de Vesles, les passants sont choqués. Christophe Mercier le constate alors qu’il patrouille,  lui aussi, dans une voiture de la BAC( Brigade Anti Criminalité). Un peu plus tard, la détonation de deux bombes agricoles va créer un mouvement de panique dans les gradins. L’attentat du 13 Novembre est dans tous les esprits.

INSULTES ET DÉNI

A l’entrée du stade,  tout le monde attend sous la pluie, y compris les Bastiais. Une trentaine d’entre eux sont particulièrement virulents. « Sales français… on a tué votre préfet… les Kouachi vous ont bien niqués..» Les insultes pleuvent. Un policier est  raillé pour son embonpoint. « Je n’avais jamais vu ça ». Maxime Beux, dans son blouson gris bleu, est repéré  comme un meneur. Mais le Commandant Voiselle, chef du dispositif de sécurité du match,  est formel : on ne bronche pas. Un tag hostile au prefet Erignac est apparu dans les toilettes. Il est revendiqué par le club des supporters « Bastia 1905 », dont Maxime Beux est un fidèle Le bus Clamart, qui les transporte,  est escorté du centre ville vers le parking du stade. Après le match, il pourra quitter la ville au plus vite , et tout le monde sera soulagé. Mais rien ne se passe comme prévu. Une trentaine de Bastiais, partent à pied vers le centre ville. Ils se séparent en deux groupes. A la barre, Maxime Beux raconte qu’ils espéraient, pourquoi pas, prendre une coupe avant de repartir. Mais les voitures de police qui les avaient à l’œil ont gâché la promenade. « Ma version, dit Maxime Beux, c’est que les policiers voulaient se faire les bastiais comme il faut ! ». Et il l’affirme solennellement : les projectiles qui ont déclanché l’ordre d’interpeller avant sa terrible blessure  n’ont jamais été lancés, ni par lui ni par ses camarades. Il est vrai que ces pièces à conviction n’ont pas rejoint les scellés, parce qu’on ne les a pas récupérées.

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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