LE SUPPORTER ET LE POLICIER : NI ANGES,NI DÉMONS 

Deux ans d’emprisonnement avec sursis pour Christophe Mercier. Il a éborgné un supporter bastiais le 13 Février 2016 dans les échauffourées qui ont suivi le match Reims-Bastia. Le policier ne pourra pas porter d’arme pendant 2 ans. Il a frappé Maxime Beux d’un coup de matraque télescopique alors qu’il voulait fuir. Maitre Brazy et Maître Ammoura, les deux avocats du fonctionnaire de la BAC (Brigade Anti Criminalité) ont demandé l’acquittement. Dans son réquisitoire, l’avocat général (sur l’image ci-dessus) a évoqué un hasard mortifère 

 

Cette condamnation pour des «violences volontaires avec usage d’une arme suivie de mutilation ou infirmité permanente » est conforme aux réquisitions de l’avocat général. Matthieu Bourrette a recommandé aux jurés de tenir compte de tous les contextes pour juger. C’est une affaire qui a marqué les esprits, car il est inacceptable qu’un supporter de 22 ans perde un oeil en venant soutenir son équipe. Et  parce qu’il a fallu attendre 6 ans et 8 mois, jusqu’à ce procès, pour que les doutes qui pesaient sur les circonstances du drame soient presque tous levés. 

POTEAU OU FLASHBALL 

Maxime Beux affirmait avoir été touché par un flash ball. Mais selon la version officielle du Parquet, du préfet, et même du ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, il était tombé sur un de ces petits poteaux de la place d’Erlon. La tentation de crier à la manipulation était forte. Maître Dupont-Moretti, qui n’était pas encore Garde des Sceaux, s’est un temps présenté comme l’avocat du supporter de 22 ans, pour affirmer qu’il était « victime d’une affaire criminelle». A l’audience, le réquisitoire de l’Avocat Général Matthieu Bourrette a fustigé ce «police bashing» contre les forces de l’ordre. Car il a fallu attendre 3 ans avant que le GIGN, la police des polices, conclue à une blessure par BTD ,bâton télescopique de défense. Les images vidéos et les expertises ne laissaient pourtant pas de doute. Pourquoi Christophe Mercier est-il resté trop longtemps sur sa version ? « Je le vois ensanglanté, je me dis qu’il a dû tomber sur un poteau. Pour moi, je l’ai touché à l’épaule, il est inconcevable que je l’aie blessé à ce point à l’œil

ERREUR OU MENSONGE 

« Erreur ou mensonge ? lui demande l’Avocat Général Matthieu Bourrette. N’avez vous pas essayé de vous persuader de cette chute ? » Comment ne pas se poser la question ? Pour les experts en tous cas, la matraque a très bien pu « ricocher » de l’épaule jusqu’à l’œil. Ce soir-là, le retour en ville des supporters après le match n’était pas prévu. L’avocat général déplore que cette rencontre n’ait pas été classé « à risques » par la Division Nationale de Lutte contre le Hooliganisme. C’était pourtant le cas. Il y a eu les insultes à l’entrée du stade contre les forces de l’ordre, un tag abject en référence au Préfet Erignac…Lire ici   Mais, rappelle Matthieu Bourrette, «les policiers avaient pour consigne de subir, d’encadrer, de préserver l’ordre et l’intégrité des personnes. Selon les supporters, la police voulait « casser du corse ». Mais il n’y a rien dont la police rémoise aurait pu rougir. Elle aurait dû interpeller dès l’après-midi. L’ordre n’a pas été donné, à tort.» Christophe Mercier a finalement reçu cet ordre d’interpeller la quinzaine de supporters qui déambulait en centre ville, dès qu’un fumigène et des projectile ont été lancés contre la police. 

DES VIOLENCES URBAINES 

Le « blouson bleu gris» qui avait déja injurié la police au stade avant le match, est justement dans le groupe qui jette le fumigène devant le Mac Do. C’est bien de Maxime Beux qu’il s’agit. Mais il affirme avec force, qu’aucun projectile n’a été lancé. Matthieu Bourrette déplore, dans son réquisitoire,  que les briquets, canettes et piles n’aient pas été ramassés, pour rejoindre les scellés. Mais pour la défense, cette omission est au contraire la preuve que l’agressivité des  supporters n’a pas été inventée comme on l’a souvent entendu à l’audience, imaginée pour étayer la version de la bavure. Ces pièces a conviction auraient été, il est vrai, faciles à fabriquer.« Il n’y a pas eu de bavures, pas d’arrangements entre policiers, dit l’avocat. La police avait à faire face à des violences urbaines, Maxime Beux était dans le groupe d’où le fumigène a été tiré. C’est une arme par destination. Il peut être dangereux, insiste maitre Brazy, il est alors en fuite. On ne sait pas ce qu’il a sur lui. Une voiture de police a failli brûler. Christophe Mercier a fait son travail dans des conditions difficiles ».  

«SI C’ÉTAIT À REFAIRE, MAXIME BEUX COURRAIT ENCORE »

Dans le dossier de  Christophe Mercier, le  policier exemplaire, il y a une trentaine de lettres de satisfaction. C’est assez rare, parce que les «BACeux» ne sont pas les enfants chéris des citoyens. Mais il y a aussi un blâme et une condamnation pour des irrégularités sérieuses, des entorses certaines à l’exemplarité que lui prêtent ses collègues. Après sa mise en examen en tous cas, il refuse que les policiers manifestent pour le soutenir, parce que «c’est son affaire, pas celle de la police. » De ses interventions devant la Cour on retient l’humanité d’un homme introverti et meurtri. « Je suis triste pour lui. Ce sont les plus belles années de sa vie. Mais malheureusement il a dû subir ça. Pour moi c’est une remise en question. Je sais que sa vie est bouleversée. Je comprends que les excuses ne valent rien parce que je n’y changerai rien.» Mais aussi : « Je n’avais jamais vu de supporter me viser avec une fusée pyrotechnique. Je n’estime pas avoir commis une faute. C’est une situation absurde d’être mis en examen alors qu’on a voulu bien faire. » Et dans les larmes : « Ce n’est pas l’image que je voulais donner de leur père à mes enfants.  Avec le recul, si c’était à refaire je le laisserai partir »

PLUS D’UNE HEURE AVANT LES PREMIERS SOINS

Christophe Mercier est évidemment interrogé sur l’impardonnable attente infligée à Maxime Beux au commissariat, avant sa prise en charge médicale. « Il n’y a pas de mots ». On l’interpelle sur sa négligence. Il répond que la gestion des geôles n’était pas de son ressort. Il devait avant tout rédiger le rapport de cette sinistre intervention. «Rien ne peut légitimer ce retard,  dit aussi  l’Avocat Général. Il y a bien eu une défaillance insupportable dans la prise en charge du blessé.» Pour décrire son arrestation, Maxime Beux a des mots terrifiants, et choisis. «J’avais le sentiment d’être un cafard qu’on veut écraser. Un guet-apens, c’est vraiment ça. Une chasse à l’homme dont je ne peux m’extirper. Je me rappelle avoir été mis en joug par un flash ball.» J’ai crié :               « Pourquoi avez vous fait ça? Pour mi c’était un flash ball» Il décrit une douleur indescriptible, insoutenable. Ce que les experts confirment. Il a pourtant dû simuler un malaise dans les geôles pour qu’on lui porte secours. Dans son transport vers le CHU, il doit encore subir les railleries des policiers. Le légiste a affirmé qu’une intervention médicale plus rapide n’aurait rien changé au pronostic. Mais ce traitement n’en reste pas moins indigne.

Les avocats, défense et partie civile.

L’OBLIGATION D’HUMANITÉ 

La blessure de Maxime Beux lui a évité des poursuites. Le procureur d’alors, dit Maître Amoura, avait décidé de calmer le jeu. Cette «obligation d’humanité», insiste l’avocat, lui évitera de comparaître quelques mois plus tard  avec les 7 mis en examens de cette terrible soirée pour outrages et rebellion. Il assiste à leur procès devant le tribunal correctionnel. Le supporter blessé, qui concède une forme de paranoïa après ce qu’il a vécu, qualifie cet épisode de « pire journée de sa vie ». « Les flics nous ont toisés toute la journée, la main sur leur arme. Cette ambiance m’a marqué au fer rouge. J’étais effaré par leur manque d’humanité ». Le procès s’est soldé par des peines d’amende pour les supporters du RC Bastia. Et ceux qui ont suivi les débats n’y ont vu que l’exercice normal de la justice. Lire ici  Dans son réquisitoire, l’avocat général pointe d’ailleurs la mémoire sélective de Maxime Beux, déja poursuivi et condamné pour son implication dans de sérieux désordres en marge de rencontres de foot à Furiani

UN HASARD MORTIFÈRE 

Le 13 Février 2016, « il y a eu des tags, des bombes agricoles, des invectives contre les juges de touche. Sur 170 supporters, il y avait une trentaine d’agités…une poignée le soir. La plupart ont joué le jeu du respect et du fair play » dit Matthieu Bourrette. Et il   ajoute que les corses de Paris sont même  venus s’excuser du comportement des insulaires. Il insiste sur le sang froid et le professionnalisme des policiers ce jour-là. « On peut n’avoir aucune sympathie pour Maxime Beux. Il  a bien proféré des insultes contre les policiers avant le match. Mais on n’a pas le droit de le mettre en accusation pour des choses qui n’ont rien à voir avec les faits. » Maître Genuini, un des avocats du supporter bastiais l’a dit un peu plus tôt : celui qui dirige aujourd’hui un chantier de construction navale sur l’île n’est ni un hooligan, ni un ultra. « Maxime Beux n’est pas un ange, mais c’est une vraie victime. Il demeure un homme blessé» dit aussi l’avocat général, avant d’évoquer le hasard mortifère qui a conduit un policier devant les Assises. Et comme pour insister sur la complexité de ce dossier : « J’accuse Christophe Mercier, mais je ne l’accable pas. Il a commis un crime, mais il n’est pas un criminel »

 

Maxime Beux

 Christophe Mercier a fait appel de sa condamnation le 17 Octobre 2022. Il sera jugé une seconde fois.




Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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