PHILIPPE GILLET, UN PÈRE DESTRUCTEUR

L’AGRICULTEUR ARDENNAIS A SANS DOUTE TUÉ SA MAÎTRESSE, IL A PEUT-ÊTRE TUÉ SA FEMME, ET IL A CERTAINEMENT DÉTRUIT SA FAMILLE

 

Depuis son premier procès, il y a 2 ans, Philippe Gillet a perdu quelques kilos en détention. Il a renoncé à se raser le crâne. Mais sinon, rien ne change. Il use toujours de son insupportable arrogance pour nier les crimes qu’on lui reproche. Et tant pis si sa fille Victoria est dévastée par ses manipulations. La lettre anonyme qu’elle a écrite pour obéir à son père devait le disculper. Elle n’a fait qu’ajouter à sa noirceur.

L’agriculteur de Fromy dans les Ardennes  a été acquitté des violences qui ont tué sa femme en 2012. Il a été  condamné à 22 ans de réclusion criminelle pour l’assassinat de sa jeune maîtresse en 2013. Ce qu’il continue de nier. Il a été le dernier à voir Anaïs Guillaume  vivante. Il indique qu’elle a quitté le lit de leurs derniers ébats amoureux en pleine nuit pendant qu’il dormait. Mais pour le major Didier Turk qui a dirigé cette enquête, la culpabilité de l’accusé ne fait pas de doute.

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Sa déposition de plusieurs heures en ouverture de l’audience a repris le faisceau des présomptions et des charges qui pèsent sur Philippe Gillet. Mais c’est bien de la découverte du corps d’Anaïs qu’on attendait des éléments nouveaux.

POUR SAUVER SON PÈRE

Victoria, la fille aînée de l’accusé, a été au cœur de ce coup de théâtre en Novembre 2019. Dans la salle d’audience, cette longue jeune fille au yeux clairs attire tous les regards. Elle assume avec élégance la chimiothérapie qui lui a fait perdre tous ses cheveux. Les talons de ses bottines claquent fort sur le parquet parcouru à grande enjambée, comme pour montrer qu’elle n’a peur de rien. Son père ne l’a pas vue depuis des mois. Il s’effondre, en hurlant quand il Lea découvre assise dans la salle …mais les débats reprennent après 5 minutes. Victoria explique comment elle en est arrivée à poster une lettre anonyme qui devait innocenter son père. Il l’a persuadée que ce message lui avait été transmis par un détenu. Une feuille manuscrite glissée sous la porte. La jeune fille est alors âgée de 17 ans. Elle est émancipée, donc majeure. Mais elle gobe cette invraisemblance, comme toutes les autres. “J’étais la petite fille qui aidait son papa. Il n’avait que moi, je n’avais que lui. J’étais son seul soutien, pour moi il était innocent à 100%. J’avais plus confiance en lui qu’en la justice.”

LA LETTRE ANONYME

La lettre anonyme est donc remaniée par le père et la fille en concertation, pour “faire plus belge”. Philippe Gillet y est présenté comme une victime. Elle indique surtout que le corps d’Anaïs est enterré sur  les terres de l’accusé. Victoria l’adresse à l’avocat de Philippe Gillet, a celui des parents d’Anaïs,  aux procureurs de Reims et Charleville, au journaliste de l’Union Mathieu Livoreil. Elle l’expédie depuis la Belgique où la voiture calcinée d’Anaïs a été découverte peu après sa disparition…Mais personne ne réagit.

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Alors, depuis sa cellule, Philippe Gillet s’impatiente. Il demande à sa fille de louer une pelleteuse. “Je n’ai absolument pas pris conscience de ce que j’étais en train de faire” dit Victoria.  Il lui indique l’endroit où il faut creuser, avec bien plus de précision que le «corbeau» n’en a données. C’est un ami qui manie l’engin. Et les restes d’Anaïs apparaissent très vite. Ils sont sous la terre, dans de la chaux comme le montre la vidéo réalisée par Victoria . 

LE CORPS D’ANAÏS

La jeune fille espérait alors que la science prouverait l’innocence de son père. Mais les experts qui ont été entendus plus tôt ne peuvent pas être aussi précis qu’on l’attendait . L’analyse d’une dent a cependant permis à l’odontologue d’évaluer l’âge d’Anaïs au moment de sa mort : entre 16 et 22 ans. Pas 25 comme le supposent les termes de la lettre anonyme. Ce qui signifie, que Philippe Gillet n’était pas en détention quand sa maîtresse a été tuée. La vidéo montre par ailleurs que le corps était à une profondeur qui n’avait pas été explorée par les premières fouilles de 2015. On s’était alors contenté de retourner l’ensemble du tas de fumier. Et sous la surveillance de Philippe Gillet, puisqu’on intervenait sur ses terres. Le major Turk s’est d’ailleurs souvenu, à la barre,  de l’étrange commentaire du fermier à l’époque : “Ce n’est pas parce qu’on va trouver le corps d’Anaïs ici que c’est moi qui l’y ai mis.”

UN AMOUR MEURTRI

Victoria a cessé de voir son père à la suite d’une dispute violente au parloir. Pourtant le conflit de loyauté se perçoit toujours dans ses paroles. Elle admet qu’elle était aveuglée, sans jamais l’accuser directement. Et il en profite. Il s’assimile à sa fille.

VIctoria Gillet et maitre Fay, l'avocat de Philippe Gillet à son premier procès.
Victoria et l’avocat de son père Me Fay au premier procès

Jacques Louvier, l’avocat général, fait référence aux expertises graphologiques. L’écriture du corbeau est celle de l’accusé, grossièrement déformée. Mais il veut pourtant faire croire que le rebondissement rocambolesque de la lettre anonyme a été imaginé en concertation avec Victoria. La déposition du compagnon de la jeune femme remet les choses en place. Son agressivité mal maîtrisée lui vaut quelques rappels à l’ordre de la Présidente. Mais il parle avec conviction. « Si elle ne faisait pas ce qu’il lui demandait, c’était la peur. Elle est victime elle aussi dans l’histoire. Elle est livrée a elle même depuis qu’elle a 15 ans. Elle était endoctrinée. » Voilà donc comment elle a fait rentrer des téléphones portables, des cartes Sim en prison. « Il l’appelait plusieurs fois par jour. Il lui a demandé du cannabis pour pouvoir cantiner comme il voulait. »

L’EXPLOSION

Le dossier confirme en effet que Philippe Gillet est vite devenu le caïd de la maison d’arrêt de Charleville Mézières, au point qu’il a été transféré à Châlons-en-Champagne. “Quand je lui ai dit que sa fille ne ferait plus ce qu’il voulait, il m’a répondu qu’il allait me casser les genoux à sa sortie”. Maitre Vigier,  l’avocat de Philippe Gillet,  rappelle que son client a reçu de belles insultes du témoin en retour. Irina, la seconde fille de Philippe Gillet, assiste à l’audience. Elle soutient son père du regard. Elle est excédée. Richard Delgenes, son avocat, règle les comptes à son tour : le compagnon de Victoria l’a frappée quand ils étaient sous le même toit. Elle a même déposé plainte. Entre les sœurs ennemies, le ton monte. Les cris fusent dans le prétoire. Victoria et son compagnon sont évacués. La salle est abasourdie.

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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