FEMMES BATTUES

LA VIOLENCE NE FAIBLIT PAS

Le Grenelle contre les violences faites aux femmes se tient à Matignon jusqu’au 25 Novembre. Il réunit de multiples acteurs, élus, ministres, associations, victimes…pour combattre une réalité terrifiante : une femme meurt tous les deux jours en France sous les coups de son conjoint ou ex. Bien avant les dix mesures annoncées en ouverture du forum initié par la secrétaire d’état Marlène Schiappa, on avait pu croire, pourtant , que les dispositifs de prévention déjà mis en place allaient permettre d’éviter les drames. Pourquoi les résultats sont-ils malgré tout si décevants et quelle seraient les clés d’un véritable renversement de tendance ? Les associations d’aide aux victimes ont quelques idées.

Nadège Bezard est accueillante juriste au MARS-France Victimes 51*. Elle exerce son métier depuis 25 ans et elle se souvient de cette époque, elle travaillait  alors du côté des Alpes,  où un commissariat donnait la consigne de ne pas prendre les plaintes des femmes battues quand les coups n’avaient pas généré d’ITT (Incapacité Temporaire Totale) supérieure à un mois. “Ce qui me fait dire qu’il y a heureusement une évolution très nette, commente la juriste. Les histoires médiatisées sont celles des ratages, des dysfonctionnements. On peut toujours trouver le contre-exemples du policier ou du gendarme qui n’est pas à la hauteur et c’est inacceptable.  Mais nous tenons des permanences au CHU au commissariat dans les gendarmeries et au Palais de justice parce que c’est spontanément  là que les femmes s’adressent. Nous sommes saisis par le Procureur quand il a connaissance, à la suite d’une main courante ou d’un signalement, d’une situation potentielle de violence conjugale ou intra familiale. Et le plus souvent les femmes que je reçois me disent qu’elles ont été généralement bien accueillies quand elles portent plainte.

UNE PRÉVENTION INSUFFISANTE

Les parquets de la Marne se montrent particulièrement exigeant, et depuis plusieurs années, s’agissant de la protection des femmes battues. C’est  ainsi que les mentalités évoluent et sans doute un gendarme ne refuserait-il pas ici d’escorter une victime pour qu’elle récupère ses affaires en toute sécurité. Contrairement à ce qu’a constaté le Président Macron en direct quand il s’est rendu au siège de la plateforme d’accueil téléphonique des victimes au 3919. Les mentalités,autrement dit, doivent évoluer autant que les procédures. La loi permet aujourd’hui de juger un homme violent même s’il n’y a ni plainte ni ITT, elle prévoit Une circonstance aggravante quand les violences sont exercées en présences des enfants. Mais comment condamner si tout se passe dans le huis clos d’une famille, si les voisins ne dénoncent pas les violences ? A Reims un voisin du petit Tony, battu à mort par son beau père, sera bientôt jugé pour son silence, ce qui constitue sans doute une première judiciaire. La mère de cet enfant de trois ans était terrorisée par son concubin. « On a avancé sur la prise en charge constate Nadège Bezard – avec le téléphone « grand danger » remis aux femmes menacées, avec la mise en sécurité des femmes et de leurs enfants- mais pas forcément sur la prévention. » Dans la Marne les hommes violents ont ainsi une obligation de suivre un stage…de 2 jours, sans autre accompagnement ultérieur. Il faudrait vraiment prendre  les auteurs en charge pour éviter les récidives. Le récent féminicide du Havre (le 105ème pour cette année) d’une mère poignardée devant ses 3 enfants, est le fait d’un homme qui avait déjà été placé en garde à vue pour des violences sur sa concubine, et relâché sans contrainte particulière.

NE PAS S’ISOLER

Le Grenelle et la médiatisation des violences a donné le courage aux femmes d’appeler le 3619. On est passé de 250 appels en une semaine, à 1600 sur une journée.  Sans doute serait-il très efficace aussi d’éduquer les femmes . « Elles ne doivent pas craindre de venir parler à des professionnels. Nous sommes tenus à la discrétion professionnelle. Nous ne pouvons rien dévoiler contre leur grès. On ne leur dira jamais quittez le ! On doit accepter qu’elles donnent une nouvelle chance à leur conjoint,quitte à les voir revenir en nous disant je n’aurais pas dû ! Parce que si elles ne l’avaient pas fait elles le regretteraient. Et pendant ces allers retours, on avance quand même. » Les réformes du Grenelle devront surtout améliorer ce qui existe déjà, lever des blocages administratifs. Comme celui qui  interdit par exemple  à l’Inspection Académique  d’accepter l’inscription des enfants dans une école rémoise parce que la mère  a fui son domicile de l’Aisne, où ses enfants sont scolarisés, pour se réfugier chez ses parents…le père violent refusant bien évidemment de signer le certificat de radiation.  Il faudra augmenter les places d’hébergement d’urgence et leur qualité, organiser la mise en place de familles d’accueil comme le propose France Victime pour mettre de l’humain dans cette fuite imposées aux femmes en danger. Car c’est bien à l’épouse battue qu’on demande de quitter le domicile pour assurer sa sécurité, « parce que la preuve de la violence n’est pas toujours facile à établir » explique Nadège Bezard, en juriste. Tant il est vrai que le droit l’emporte toujours sur l’émotion. A quoi s’ajoute le fait que les drames se construisent sur des histoires d’amour auxquelles les femmes restent attachées malgré ce qu’elles subissent. « On est surpris de ce qu’elles peuvent supporter. Elles sont capables d’encaisser des violences inouïes pendant des années, et finalement quitter leur mari parce qu’il les trompe. » D’où la nécessité d’apprendre aux femmes à identifier, à objectiver l’inadmissible : noter tous les dérapages  dans un « coffre fort numérique », autre proposition de France Victime, et inciter le medecin à consigner systématiquement ce qu’Il entend de ses patientes. Généraliser les unités de médecine judiciaire où on peut faire constater les coups, même sans qu’il y ait réquisition de la justice. Même si on n’est pas décidé à porter plainte, la violence reste  « tracée ». La protection des femmes battues serait en réalité plus une question de moyens que de savoir faire. Le Haut Conseil à L’Egalité entre les Hommes et les Femmes  estime que prés de 80 millions d’Euros ont été alloués aux violences faites aux femmes, quand il en faudrait (toujours selon le HCE) entre 500 millions et un mIlliard.

*Dans la Marne Le MARS a reçu plus de 800 personnes victimes de violences conjugales et intrafamiliales depuis le début de cette année.

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

You May Also Like