EN CHAMPAGNE LA VENDANGE SERA BELLE ET PARFOIS MOROSE

Cette fois ça y est. Après un début très timide sur quelques coteaux de l’Aube et de la Marne, les vendanges démarrent vraiment dans toute la Champagne pour une dizaine de jours. La récolte sera de qualité pour peu que l’on sache rejeter les grappes et les grains qui ont souffert de l’échaudage, ce terrible coup de soleil que leur a infligé la canicule. Mais malgré des à-coups climatiques divers, l’état sanitaire des raisins est globalement satisfaisant.

Il n’y aura pas de pénurie non plus et d’autant moins que l’interprofession champenoise, vignoble et et grandes marques, a choisi de réduire ses rendements à 10 200 kilos à l’hectare pour cette année 2019 (en baisse de 3% sur les 2 années précédentes). Cette mesure est la conséquence d’un fléchissement des ventes, à 302 millions de bouteilles l’an passé.

ÉVITER  LA SURPRODUCTION

Les quotas fixés pour cette vendange s’alignent donc sur ces volumes sans plus. Il s’agit bien d’éviter une surproduction de champagne puisque  ce recul des expéditions devient particulièrement préoccupant pour les champagnes de propriétaires. Le SGV (Syndicat Général des Vignerons de la Champagne) s’en inquiète une fois de plus dans le document qu’il vient de produire. Car le succès planétaire du champagne (4,9 milliards de chiffre d’affaire) est le résultat d’une stratégie de valorisation des vins, plus particulièrement à l’export, dans laquelle les vignerons ont trop rarement trouvé leur place. Le SGV insiste donc sur cette “autre réalité qui est le décrochage des vignerons dans la commercialisation avec le risque à terme d’une remise en cause des équilibres interprofessionnels et d’une concentration du secteur”. Cette crainte de perdre la main commence d’ailleurs à s’exprimer chez certains vignerons. Ainsi ce jeune propriétaire de Chamery qui sans s’interrompre dans la préparation de ses vignes avant le grand jour de la récolte, explique qu’il a choisi de reprendre l’élaboration de ses propres bouteilles un temps abandonnée. ”Le prix du raisin racheté par le négoce est si intéressant, (autour de 7 euros pour les grands crus NDLR) qu’on est tenté de le vendre au négoce. Mais qu’est-ce qu’on fera de notre raisin si leur champagne se vend moins bien ? Ils deviendront les maîtres du marché.” Certains propriétaires ont ainsi conscience de vivre une période à risque et de subir malgré eux, des changements irréversibles qui leur font perdre la main sur leur terres. Cette évolution est due, selon le SGV, à l’augmentation des charges. Elle pousse les vignerons à “externaliser de plus en plus le travail pour ne plus avoir à assumer l’excès de contrainte et de responsabilité qui pèse sur les employeurs.” C’est le cas à longueur d’année, pour l’entretien des vignes, mais aussi au moment des vendanges. La récolte est ainsi confiée à des prestataires de service au détriment de cette ambiance de fête qui était autrefois associée aux vendanges, quand les cueilleurs  étaient hébergés et nourris sur place.

DES NORMES ASPHYXIANTES

Paul Vincent Ariston, fameux producteur du champagne Aspasie à Brouillet, a connu cette époque bénie et c’est à regret qu’il a franchi le pas de la sous-traitance depuis quelques années. ”On nous impose des normes supérieures à celles d’un hôtel Formule1 pour l’hébergement, ce n’est pas tenable. Et les jeunes qui viennent vendanger aujourd’hui n’ont plus la motivation de leurs aînés. Ils sont agressifs, parfois sur fond de drogue. Du coup on a un noyau de vendangeurs qu’on connait depuis des années, et pour le reste on fait appel à des polonais qui sont demandeurs comme les cueilleurs qu’on a connus il y a deux générations. On évolue vers une main d’oeuvre européenne.” Et le discours se répète, de village en village : la vendange n’est plus seulement un plaisir, elle est devenue un problème. La notion de repos hebdomadaire par exemple est impossible à mettre en oeuvre pendant les vendanges. Il est indispensable martèle Paul Vincent Ariston de pouvoir vendanger en continu pendant sept à dix jours. Le syndicat des vignerons réclame “un allègement des contraintes administratives pour l’emploi saisonniers en même temps qu’un aménagements sur leur logement.” Le vigneron de Brouillet, quant à lui , voit encore plus loin. Il fait partie des quatre premier acquéreurs du “Bakus”. Ce petit tracteur enjamber électrique et robotisé est 100% autonome. Il a de quoi séduire. Et Son heureux propriétaire se prend à rêver. “Même si les vendanges ne sont pas mécanisables chez nous (la vinification particulière du champagne à partir de la seule pulpe impose de cueillir des grappes entières et intactes NDLR) Bakus pourrait récolter au moins les raisins blancs. On refuse cette possibilité pour le prestige. Mais la machine ne fait pas pire que ce qu’on voit arriver parfois sur les quais des pressoirs.” Décidément les temps changent.

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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