LA JUSTICE SOUFFRE D’UN MANQUE CRIANT DE MAGISTRATS ET DE GREFFIERS

La justice manque de moyens, on le sait. Mais cette fois ce sont les Procureurs Généraux qui le rappellent. Le séminaire de printemps de la Conférence  Nationale  des Procureurs Généraux de France s’est tenu cette année à Reims, dans les locaux de Sciences Po. A la faveur de ce moment d’échange et de réflexion, la CNPG réclame un recrutement massif de procureurs, de greffiers… et ce n’est pas tout.



Sur le ressort de chacune des 36 Cours d’Appel de France, le Procureur Général est l’autorité hiérarchique des Procureurs de la République. Il a un rôle de coordination et d’harmonisation de la politique pénale. La Conférence Nationale des Procureurs Généraux est donc régulièrement consultée par le Garde des Sceaux. Elle l’a été plus particulièrement cette fois-ci, sur la question des effectifs. 

DES MAGISTRATS PAR CENTAINES

Les chiffres cités par Frédéric Fèvre, le président  de la CNPG, sont éloquents. « La France compte 3 procureurs pour 100 000 habitants, alors que la moyenne européenne est de 11. Si on veut atteindre 6 procureurs pour 100 000, parce qu’il faut rester raisonnable dans un premier temps, il faudrait recruter 1929 parquetiers. Pour arriver à 11, il faudrait en recruter près de 5500. » Cet objectif de plus de 1900 magistrats est en réalité très théorique. La préconisation profitera aux générations futures. Comme l’ont rappelé les membres du bureau de la CNPG* à la faveur d’une conférence de presse, l’objectif est d’autant plus ambitieux qu’il faut près de huit ans pour former un magistrat. Aux moyens financiers doit s’ajouter le temps nécessaire à leur  formation.  Et les équipes qui les entourent doivent avoir un très haut niveau. C’est déjà le cas avec les greffiers. Les fonctionnaires de catégorie A, niveau Master 2 plus expérience professionnelle, font maintenant leur apparition dans les tribunaux. Mais c’est insuffisant. Car les magistrats ont désormais besoin d’assistants très spécialisés.  

DES DOSSIERS PLUS NOMBREUX, PLUS COMPLEXES

La récente apparition des pôles régionaux de l’environnement est à ce titre très révélatrice. Personne ne conteste leur pertinence. « Mais tout s’est fait à moyens constants, déplore la Procureure Générale de Chambéry Thérèse Brunisso. C’est ce qui s’est passé à Annecy qui est un tout petit parquet de 4,8 procureurs. » Les effectifs de magistrats et de greffiers stagnent, alors que leur activité se déploie. Près de 50% des réponses pénales sont aujourd’hui apportées par les parquets, sans passer par les audiences, avec des procédures simplifiées, des alternatives aux poursuites. La gestion des hospitalisations sous contraintes , des contentions alourdissent la charge des procureurs…à moyens constants là encore. Le nombre de dossiers augmente, comme la complexité des procédures. « Autrefois on maîtrisait, on n’avait pas besoin d’ouvrir le code. Aujourd’hui on est obligé de le faire, car non seulement les procédures sont complexes, mais elles changent très rapidement » dit Christophe Barret, Procureur Général à Besançon. 

LA LOI DEVIENT UN OUTIL POLITIQUE

Après la loi de programmation judiciaire, sous Nicole Belloubet, est arrivée la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire. Ces deux très grandes lois ont été suivies d’un toilettage du code de justice pénale des mineurs. La réforme est incessante. « Le ministère de la justice était traditionnellement le ministère de la loi, maintenant chaque ministère est un ministère de la loi. Quand un événement survient, le ministre veut une loi nouvelle. La loi est un outil de politique. Elle répond à une attente des citoyens, et le politique fait ce qu’ils attendent. C’est le constat des membres du bureau de la CNPG qui, avec cette évolution, pointe une forme d’insécurité juridique. « La première question qu’on se pose aujourd’hui c’est : quel est le droit applicable, insiste le Procureur Général de Reims, Hugues Berbain. Il y a trente ans, une audience classique permettait de juger une quarantaine de dossiers , aujourd’hui c’est une quinzaine. On a connu des époques ou une affaire criminelle pouvait se juger en une journée. Tout ça est complètement impossible aujourd’hui. » 

DES HOMMES ET DES MOYENS

Cet allongement du temps judiciaire nécessite évidemment des moyens humains et matériels plus importants. Car la pénurie de greffiers et de magistrats, se double de problèmes immobiliers. Les palais de justice sont trop étroits, l’équipement numérique, les moyens matériels sont  insuffisants. C’est ainsi qu’à Nancy, on a vu des magistrats arriver au palais  avec des rames de papier dans leur coffres de voitures pour faire face à la pénurie. C’est un exemple. La pauvreté de la justice n’est pas une nouveauté. Historiquement, le politique a toujours eu la crainte d’un pouvoir excessif de la justice, il n’a jamais choisi de la faire travailler dans le confort. Le budget du ministère de la justice augmente de 8%par an  depuis deux ans…mais on part de très très loin. Et surtout, cette progression profite davantage à l’administration pénitentiaire qu’aux services judiciaires. 

SANS ROUGIR

Mais pour la CNPG, notre justice est néanmoins capable d’exemplarité : c’est en France qu’on a jugé l’affaire de l’Erika. Aucun dossier semblable n’a été jugé ailleurs. Le procès « V13 » sur les attentats de Paris est lui aussi une référence. Les affaires criminelles souffrent rarement d’une limitation budgétaire, même si l’approche scientifique et technique des dossiers est extrêmement coûteuse. «Nous avons des moyens, nous souhaiterions en avoir davantage, dit encore Frédéric Fèvre. Mais nous faisons un très beau métier » Lire aussi  : RENDRE LA JUSTICE 

*De gauche à droite sur l’image ci-dessus :  Frédéric Barret, Procureur Général de Besançon ; Hugues Berbain, Procureur Général de Reims ; Frédéric Fèvre, Procureur Général de Douai,Président de la CNPG ; Thèrese Brunisso, Procureure Générale de Chambéry 











 

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Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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