PRISON FERME POUR DES VENDANGES INDIGNES EN CHAMPAGNE

JUSQU’À DEUX ANS DE PRISON FERME POUR TRAITE  D’ÊTRE HUMAIN DANS LE VIGNOBLE CHAMPENOIS

Heureux hasard du calendrier :  le procès a eu lieu en Juillet dernier,  le jugement est tombé après la fin des vendanges. Car il aurait été difficile, alors que la Champagne sortait tout juste de l’effervescence d’une récolte exceptionnelle, de revenir sur les méthodes indignes qui viennent d’être condamnées.

Traite d’être humain. En Champagne, en 2020. C’est bien ainsi, que la justice a pu qualifier le management de la société Raj VIti dont le couple de gérant vient d’être condamné à trois ans d’emprisonnement, dont un avec sursis, avec une amende de 50 000 euros chacun. En Juillet dernier, le Tribunal Correctionnel de Reims avait dû consacrer trois jours à un dossier particulièrement choquant qui impliquait six personnes et trois sociétés.

LUXE ET PRÉCARITÉ 

Des contrôles de gendarmerie opérés pendant la vendange 2018 ont en effet révélé que la Champagne du luxe et de la fête pouvait être le lieu de pratiques d’un autre monde et d’un autre âge aux dépens de quelques vendangeurs précaires et vulnérables parce que réfugiés. On en a identifié 125, ils étaient sans doute une centaine de plus dont on n’a pas retrouvé l’adresse. Il s’agissait de travailleurs africains vivant dans le sud de l’Espagne, mais aussi d’Afghans recrutés devant la Gare de l’Est et transportés la nuit par camion dans l’Aube et dans la Marne. “Comme quand on passait clandestinement, a commenté l’un d’entre eux. Les passeurs s’occupaient mieux de nous.”

Certains dormaient à même le sol dans un pressoir ou dans un hôtel désaffecté de Oiry dont les sanitaires n’étaient évidemment pas en état. La nourriture était souvent insuffisante quand elle n’était pas avariée, et l’eau manquait aussi. Interdiction de sortir le soir, menace de ne pas être payé en cas de désobéissance…Pourquoi pas puisque les employeurs, un couple originaire du Sri Lanka, faisaient allègrement l’impasse sur les contrats de travail. La société Raj Viti crée par ces deux prestataires de services, des “presta” comme on les appelle en Champagne, pouvait répondre à toutes les demandes. 20 cueilleurs un jours, 80 le lendemain. “On a grandi trop vite, je n’ai pas pu tout faire comme je voulais, tente de justifier l’épouse qui est officiellement la seule à parler le français. Je faisais confiance aux chefs d’équipes. Les vendanges, ça va vite.

 

ESCLAVAGE MODERNE

Quatre donneurs d’ordre champenois étient aussi poursuivis dans ce “trafic d’être humains”. Le gérant de la société Viti Chenille a écopé de 18 mois d’emprisonnement dont un an ferme. Son co-gérant, s’en tire avec une amende de 5000 euros, le Tribunal estimant qu’il a ignoré les décisions prises par sa société. Le gérant de la Société Serviti est condamné à 6 mois assortis du sursis et 10 000 euros d’amende.  Un cadre de la maison Veuve-Clicquot, jugé à titre personnel, a  été relaxé. Le responsable des vendanges de la prestigieuse maison de champagne n’était pas un client direct de Raj Viti et il a pu faire valoir qu’il ignorait tout du traitement qui était fait aux vendangeurs. Car comme l’a fait remarquer l’avocat du Comité Contre l’Esclavage Moderne, les tarifs extrêmement bas pratiqués par la société Raj Viti devaient à eux seuls alerter les donneurs d’ordre. Ils ont omis de réclamer l’attestation de vigilance aux gérants, ce document officiel qui en aurait validé les méthodes si elles avaient été conformes aux textes. “On casse les prix et c’est le prix de la dignité” a lancé maître Bouzaida dénonçant une forme de connivence. Pour Pascal Grosdemange,l’avocat de la CGT du Champagne, “tout est basé sur la profitabilité, on ne veut pas voir”. Un peu plus tard dans son réquisitoire la procureure a d’ailleurs déploré que le Comité Champagne ne se soit pas porté partie civile dans ce dossier.

Lire par ailleurs : https://www.moniquederrien.com/au-bonheur-des-vendanges-et-du-champagne/

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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