SMAEL, BÉBÉ MARTYR OUBLIÉ

LES JURÉS DES ASSISES DE LA MARNE ONT CONDAMNÉ LA MÈRE DE SMAEL À VINGT ANS DE RÉCLUSION. LE PÈRE A SEPT ANNÉES D’EMPRISONNEMENT. MAIS D’AUTRES RESPONSABILITÉS ONT ÉTÉ ÉVOQUÉES DANS LA MORT TRAGIQUE DE CET ENFANT DE 13 MOIS

Arlette N’Guessan n’avait pas 20 ans quand Smael est né. Trois ans plus tôt, on lui avait retiré la garde de Samuel, son premier fils, parcequ’elle était incapable d’être mère. Elle ne nie pas les sévices infligés à son deuxième enfant. Le récit de cette mort annoncée est insoutenable. Les parents  et l’enfant vivaient en grande précarité, à Reims, dans un appartement de 32 mètres carrés. Omar Boubou, le père, dit qu’il n’a rien vu. Et les services sociaux n’ont rien remarqué.

Smael a été frappé par sa mère avec le câble de la télévision, comme en “une sorte de flagellation” souligne la présidente de la Cour d’Assises. Les coups étaient très nombreux, autour d’une cinquantaine, mais on n’a pas pu les compter précisément. La peau était en lambeau. Smael portait des traces de brûlures. Ses oreilles et ses lèvres étaient tuméfiées, le frein labial arraché sans doute par une torsion. La mâchoire avait été fracturée, le bras aussi, comme les côtes. Il ne pleurait plus parce qu’il était sidéré.

UNE MORT CERTAINE

La cause de la mort de cet enfant de 13 mois, le 12 Octobre 2018, est due à un traumatisme crânien. Mais elle serait inéluctablement intervenue, tôt ou tard, en raison de la dénutrition sévère qui l’empêchait de marcher. La mère ne nie pas à la barre, mais elle ne se souvient pas de tout. “Je n’étais pas moi même”. Elle n’a guère que ces mots pour se justifier. Les experts diront qu’elle était dans un état dépressif sévère. Au moment de son arrestation, cette ivoirienne de 19 ans pesait 40 kilos pour 1m75. Le petit Smael était son deuxième enfant. Le fils d’Omar Boubou. Son prince charmant, comme le dit  Maître Laithier, son avocate  Elle était tombée amoureuse de cet homme d’origine mauritanienne alors qu’ils vivaient tous les deux dans le Val de Marne. Avec ce gaillard athlétique, de 12 ans son aîné, elle voulait assumer l’éducation de leur fils. Il fallait effacer l’échec de la  précédente maternité.

LE DÉFI DE LA MATERNITÉ

A la naissance de Samuel, son premier enfant, elle avait à peine 17 ans. Et elle savait alors qu’elle serait incapable de l’assumer. Personnalité carencée, ont encore dit les experts. La jeune femme a été maltraitée puis abandonnée par sa mère. En 2015 Samuel a donc été placé avec son accord, à sa demande. Mais deux ans plus tard, elle a choisi de garder Smael, comme l’a rappelé l’avocate générale Sandrine Delorme dans son réquisitoire. Elle est venue s’installer à Reims avec mari et enfant dans un appartement qui lui a été alloué en tant que jeune majeure. “Elle veut montrer à ses parents qu’elle est capable de fonder une famille, dit maître Laithier. Mais on ne peut pas donner ce qu’on n’a pas reçu.” Omar Boubou, quant à lui, n’est pas le prince charmant qu’elle attendait. Il la trompe beaucoup et il est peu présent. Si peu, qu’il ne voit rien des sévices infligés à son fils. C’est sa ligne de défense.

LES CARENCES DU SUIVI SOCIAL

Et personne n’arrêtera la spirale infernale des mauvais traitements infligés à Smael, même pas les services sociaux. Deux associations, l’Enfant Bleu et Innocence en Danger, (représentées respectivement par Laurence Micallef-Napoly et Nathalie Bucquet ,à droite et au centre ci dessus), ont pointé l’incohérence du suivi de l’accusée. Les deux avocates ont rappelé que les éducateurs en charge du fils ainé d’Arlette N’Gessan étaient parfaitement au courant des difficultés de la jeune mère. Mais ils étaient focalisés sur Samuel. Ils ont fait suspendre les droits de visite quand le garçon s’est plaint d’avoir été battu par le couple. On aurait pu, à ce moment là, se poser la question de ce qui se passait pour le petit Smael. On ne l’a pas fait. Une infirmière était chargée d’accompagner cette mère fragile dans les soins qu’elle devait apporter à son enfant. Mais elle ne s’est pas inquiétée quand les rendez-vous qu’elle lui avait fixés n’ont pas été pas honorés.

DOULEURS EN CASCADES

Adelaide N’Guessan est donc allée jusqu’à tuer son enfant , “et ça il faut l’intégrer » a martelé l’avocate générale. Samuel, le fils aîné, devra l‘intégrer aussi. Lui qui avait eu le temps de s’attacher à son petit frère. Maître Adelaide Kadiyogo (à gauche ci-dessus) le représentait  à l’audience. Elle se devait de porter la douleur de cet autre garçon devant les jurés de la Cour d’Assises. Balloté d’une famille d’accueil à l’autre, victime d’agression sexuelles dans ce cheminement chaotique, frappé quand il a rendu visite à sa mère…. “Samuel a pourtant partagé des moments de joies avec Smael  a insisté l’avocate. Il m’a demandé s’il avait grandi la dernière fois que je l’ai vu. » Mais il devra se passer de  ces rencontres qu’il aimait tant.

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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