Il s’appelle Vincent, comme Vincent Lambert qui est à sa droite, au centre de l’image. Le cliché jauni d’une jeunesse heureuse remonte à la fin des années 90. Ils étaient dans la même promotion à l’école d’infirmiers de Laon. Ils ont fait toutes leurs études ensemble. L’amitié s’est installée au fil des années. Et puis chacun a fait sa vie jusqu’à cet accident de la route qui le 29 Septembre 2008 a emmuré Vincent Lambert pour toujours.
Son épouse Rachel a tout tenté pour le sortir de sa prison. Elle a convoqué ses camarades de promotion dans sa chambre d’hôpital pour essayer de réveiller sa mémoire. Mais rien n’y a fait, ni les stimulations de son entourage, ni les traitements des pontes qui, en France ou en Belgique, font autorité dans la prise en charge des cérébro-lésés. Après cinq années de lutte, il a fallu se rendre à l’évidence : l’état de conscience minimal de Vincent Lambert était irréversible. Son épouse Rachel qui se battait à ses côtés depuis l’accident a finalement souscrit au protocole de fin de vie que proposait le Docteur Eric Kariger alors à la tête du service où Vincent est encore hospitalisé, au CHU de Reims. Les parents du jeune homme, catholiques traditionalistes, portés ou aveuglés par leur foi s’opposent depuis à ce qu’on laisse mourir leur fils. Par tous les moyens. Le bras de fer judiciaire qu’ils ont engagé en 2013 n’a toujours pas trouvé d’issue. Et bien des observateurs se disent convaincus que c’est un combat sans fin. L’autre Vincent, son ami, a choisi de se battre avec d’autres armes pour mettre fin à un acharnement qu’il juge inhumain. Sur Facebook il a créé un groupe « laissons partir Vincent, soutien à Rachel Lambert » qui réunit 4000 personnes. « Nous avons peu de moyens face aux parents de Vincent, mais les messages de soutien à Rachel peuvent l’aider à tenir. Elle se sent peut-être un peu moins seule grâce à nous. Surtout je souhaite que la petite fille de Vincent-née peu après l’accident,ndlr-se rende compte que sa maman n’était pas isolée dans son combat. La terrible vidéo diffusée il y a 4 ans par ceux qui s’opposent à sa fin de vie m’a révoltée. Elle le montre au téléphone, réagissant aux paroles de sa mère. » Les images voudraient prouver que Vincent peut communiquer, ce qui est démenti par les 4 collèges d’experts qui ont été saisis. « Là je me suis dit qu’il y a des causes pour lesquelles il faut se battre. » La motivation de l’ami de Vincent Lambert, c’est bien de faire respecter sa volonté.
Comme tous ses camarades d’étude, il est bien placé pour savoir que Vincent n’aurait jamais voulu vivre dans cet état. Mais à l’époque, les directives anticipées n’étaient pas recommandées comme aujourdhui. « C’est une certitude, ce n’est pas le fruit de notre imagination. Nos études nous donnent fréquemment l’occasion de nous exprimer sur ces questions. Notamment au moment de ce qu’on appelle des « exploitations de stages » où sont évoqués les cas cliniques que nous avons approchés. Il s’insurgeait vigoureusement contre le maintien en vie de patients qui n’ont aucun espoir d’amélioration. Vincent a eu maintes fois l’occasion d’exprimer son refus d’être maintenu en vie s’il devait avoir à vivre ce qu’il vit. Il a été élevé très religieusement, mais quand je l’ai connu il se libérait, il croquait la vie. Toujours très élégant, trés soigné trés beau, et très exigeant sur le respect de la personne. Il était choqué du traitement qu’on faisait aux personnes âgées dans les maisons de retraite par exemple et il le disait avec fermeté. C’était vraiment quelqu’un de chouette« .
SANS ISSUE
Comme les deux médecins qui l’ont précédé au chevet de Vincent Lambert, le Docteur Sanchez du CHU de Reims a tenté d’engager un procédure, en Janvier dernier, qui devait conduire à l’arrêt des soins. Les parents ont une fois de plus saisi la justice, affirmant que leur fils progressait. Les toutes dernières expertises ont été rendues en Novembre dernier, à la demande du Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne. Elles concluent à l’irréversibilité de l’Etat de Vincent Lambert. Mais elles ajoutent que les soins qu’il reçoit ne constituent pas une obstination déraisonnable puisqu’ils se limitent à une sonde gastrique qui ne nécessite pas de le maintenir dans un service spécialisé. La loi Leonetti-Claeys a vocation à empêcher l’acharnement thérapeutique. Elle ne pourrait donc plus s’appliquer ici, en dépit de ce que le Conseil d’Etat avait jugé en 2014 ? Mais avant même d’entamer ce nouveau combat judiciaire, peut-être risqué, les parents de Vincent ont récemment demandé le dessaisissement du Tribunal Administratif de Châlons pour cause de « suspicion légitime ». Ils dénoncent de graves défauts de procédure de la part de son Président Jean Paul Wyss. La réponse de la justice est attendue le 15 Janvier* à Nancy. « On n’arrive pas à comprendre la mère de Vincent« , commente son ami. « Il ne s’agit pas ici de tuer quelqu’un mais de respecter sa volonté puisque les dernières expertises confirment qu’il n’y a ni progrès ni espoir d’amélioration. Vincent a mon âge. Il est né en 1976. C’est vrai qu’il n’y a qu’une sonde gastrique. Il n’y a peut être pas d’acharnement thérapeutique, mais il y a un acharnement à le maintenir en vie contre sa volonté, c’est comme ça que je le vois. Son cœur peut continuer à battre encore longtemps. Maintenant les parents viennent dire que le TA de Châlons n’est pas neutre. On est en train de découvrir toutes les ficelles de la procédure judiciaire. Il n’y a rien de plus efficace que de faire peur. La stratégie a toujours consisté à épuiser le medecin chef en place. Il s’en va et il faut recommencer. Dr Kariger,Dr Simon…et que fera le Dr Sanchez ? Pourtant depuis 10 ans de procédure, aucune partie n’a été gagnée pas madame Lambert. Rachel reste la tutrice de son mari malgré sa volonté, et Vincent reste au CHU de Reims malgré sa volonté de le faire transférer ailleurs. Ils repoussent les échéances mais sans jamais avoir vraiment gain de cause. Je suis triste de penser qu’il pourrait encore être comme ça dans 10 ans. Le paradoxe c’est que ses parents qui sont censés l’aimer et tout faire pour lui, l’ont isolé : chambre fermée, sous vidéo surveillance, on note qui rentre et qui sort. Là, je ne peux plus le voir. Ça marque une vie cette histoire. Mais il y a des combats qu’il faut mener. De toutes façons, sa mort sera compliquée aussi. »
*La Cour Administrative d’Appel de Nancy a rejeté la requête des parents de Vincent Lambert qui annoncent qu’ils se pourvoient en cassation. Ce pourvoi n’étant pas suspensif Le Tribunal Administratif de Châlons-en-Champagne s’est prononcé 21 janvier sur la légalité de la troisième décision d’arrêt des traitements de Vincent Lambert. Saisi par les parents, le Conseil d’Etat a validé à son tour cette décision le 24 Avril 2019. Mais les parents de Vincent ont saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme et le Comité de Protection des Personnes Handicapées de l’ONU.