AUX ASSISES DE LA MARNE, CELUI PAR QUI LE MALHEUR ARRIVE

Rudy Carlin comparait devant les Assises de la Marne pour le meurtre d’un jeune homme de 19 ans en Mai 2021 à Courville, suivi des viols répétés de sa petite amie. Ils étaient étudiants. Ils n’avaient jamais vu leur agresseur. Les détails de ces faits bouleversants sont parfaitement connus, abjects, et incompréhensibles. La douleur de la jeune fille, sa dignité, sa rigueur s’opposent à l’incohérence d’un accusé qui ne sait rien expliquer. Maintes fois emprisonné après d’innombrables délits, il aurait dû se trouver sous les verrous ce soir-là, pour une récente tentative d’enlèvement. Mais une négligence policière lui a laissé la liberté de tuer et de violer

La victime est une belle jeune fille. Elle tient à ne rien manquer des débats. Mais des larmes irrépressibles l’obligent parfois à quitter la salle d’audience. La description des blessures de Baptiste  par le médecin légiste est insoutenable. Les billes millimétriques du fusil à plomb ont détruit tous les organes en dilacérant la veine cave inférieure. S’il avait été secouru en urgence, il y aurait eu une chance très faible de le sauver. « Une chance vraiment très faible », insiste le médecin, ce qui est inaudible pour son amie dévastée par l’émotion.

UN CAUCHEMAR EN PLEINE CONSCIENCE

Quand le coup de feu part, elle est tout près de lui. Ils sont sortis de la voiture. A bord d’une Audi volée, Rudy Carlin vient de se garer juste à côté d’eux sur ce parking où ils se sont arrêtés pour réfléchir tranquillement à la soirée qu’ils vont passer ensemble. Il leur demande du schit. Ils n’en ont pas. Armé d’un fusil, il donne l’ordre à Baptiste de monter dans le coffre. “Je lui ai pris la main pour le tirer vers moi. Et là, il y a eu un bruit  qui m’a rendue sourde. Je suis retournée à ma place pour retrouver mes esprits. Quand je me suis relevée, il n’y avait plus personne. Il m’a fait monter dans le coffre sous la menace. J’ai réussi à prendre mon téléphone.” Pendant que la voiture roule, elle appelle les gendarmes qui ne répondent pas, elle contacte le 112, en économisant la batterie presque déchargée de son appareil. Quand il ouvre le coffre, le téléphone se met à vibrer. Il le jette même s’il a étrangement permis à sa victime d’envoyer un message à sa mère. Il la fait monter dans l’habitacle, ligotée par des vêtements. Deux autres fusils, volés à un ami,  sont posés sur le siège. 

J’AVAIS ENVIE D’ELLE

Elle lui parle, encore et encore, “pour ne pas le laisser réfléchir, parce qu’à chaque fois il prend une décision nouvelle”. Le périple de l’Audi est guidé par la logique de Rudy Carlin, pas  toujours facile à suivre. Il veut voler du carburant pour pouvoir prendre la fuite. Mais  il doit absolument assouvir la pulsion sexuelle démesurée qui l’a envahi quand il a aperçu le profil de la jeune fille dans la voiture en stationnement, alors qu’il roulait sur cette petite route. Un hélicoptère de la gendarmerie survole la campagne, sans parvenir à localiser l’Audi. Pendant ce temps, les viols se succèdent, interminables, malgré tous les efforts de dissuasion de la victime. “J’ai pas fait tout ça pour rien” lui dit-il en faisant référence au coup de fusil. “Il faisait une espèce de calcul de peine par rapport à ses actes.” Il lui fait croire que Baptiste va s’en tirer,  mais il ajoute un peu plus tard qu’”il saignait beaucoup quand même”. Sur une décision qui reste mystérieuse, Rudy Carlin finit par la libérer au petit matin, non loin de la gendarmerie de Gueux. 

UNE INCROYABLE MAÎTRISE

Elle restitue son calvaire dans les moindres détails. Les enquêteurs seront  impressionnés par sa précision. Tout au long de la nuit, elle a appliqué les techniques de mémorisation dont elle s’est imprégnée pour se préparer à ses études de médecine. Elle s’excuse d’ailleurs, devant la Cour, de devoir manquer deux jours d’audience pour passer ses partiels. Cette nuit-là, elle  ne sait pas encore que la blessure de Baptiste a été mortelle. “Vous avez des discussions interminables avec une jeune fille qui vous écoute, relève la présidente, et pourtant vous la violez ! Je suis suis devenu un monstre,commente l’accusé. Je suis désolé de lui avoir fait vivre un film d’horreur. Quand je bois et que je fais des mélanges je suis une ordure.” Un peu plus tôt, il avait estimé qu’il ne méritait rien d’autre que de finir sa vie sous les verrous. Il faut dire qu’à 44 ans, il a passé plus de temps en détention qu’en liberté. “J’ai toujours pensé qu’il faisait quelque chose de grave pour retourner en prison” explique  sa mère.

LA PRISON POUR REFUGE

Rudy Carlin est né d’une grossesse “accidentelle”, il  n’a pas connu son père et son beau père l’a physiquement et psychologiquement maltraité. “Il m‘a rendu haineux”.  Première fuge à 8 ans, “pour ne pas prendre de coups” dit-il. A 10 ans, il était devenu un délinquant. Placement en foyer, et puis la  prison à 14 ans. La liste des délits qui le concernent est vertigineuse.193 mises en cause, une trentaine de mentions au casier judiciaire majoritairement des vols souvent liés à la toxicomanie. “Il faisait les choses et il réfléchissait après » dit encore sa mère. Quand il commence c’est pas trop grave, et puis  ça monte. Il rêvait d’une vie rangée, une famille, des enfants. Il disait j’arrêterai quand j’aurai tout ça” . Avec l‘héroïne et la cocaine, le subutex est devenu une drogue pour Rudy Carlin. “J’en reprends dès que je sors de prison. J’ai pris goût à cette vie là ”    

LE LAXISME DÉVASTATEUR DE LA POLICE

Les mains tendues n’ont pourtant pas manqué dans sa famille, chez ses amis. Une éducatrice de prison est venue expliquer comment elle  avait échoué dans ses tentatives de désintoxication. “Vous n’avez rien fait de votre vie” constate la présidente. Huit mois avant le drame de Courville, Rudy Carlin s’était déja rendu coupable d’une tentative d’enlèvement à Charleville sur la  standardiste de l’Hôtel César où il avait séjourné. Il voulait de l’argent pour partir en Hollande et assouvir son besoin de drogues. Les indices qu’il a laissé sur place ont rapidement permis à la police de l’identifier… sans chercher pour autant à le localiser pour  l’interpeller rapidement. Il a pu poursuivre son errance, jusqu’à tuer un jeune homme et violer son amie. “ Ça fait deux ans et demi, dit elle à la barre, que je réfléchis à ce que j’aurais pu faire de mieux. Ce qui s’est passé à Charleville m’apprend qu’on ne peut pas avoir confiance dans les gens qui sont censés nous protéger. Il a commencé par des petites bétises qui allaient en s’aggravant. Je me dis que la prochaine fois il s’en prendra à des enfants.” Et elle demande qu’on ne le laisse plus jamais ressortir.

À l’issue de ce procès, Rudy Carlin a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans. 

 

 

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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