ACCUEIL DES JEUNES MIGRANTS : LE DÉFENSEUR DES DROITS BOUSCULE LA JUSTICE

Aprés le décès de Denko Sissoko retrouvé mort à l’aplomb de la fenêtre de sa chambre du 8ème étage au Foyer Bellevue de Châlons-en-Champagne, le Défenseur des Droits avait été alerté par une éducatrice spécialisée. Ibitssam Bouchaara dénonçait alors les carences de l’accueil des mineurs étrangers isolés par l’association la Sauvegarde. On était au tout début de l’année 2017. Le Parquet de Châlons en Champagne n’avait  pas pu établir la cause de la chute du jeune malien de 17 ans, ni conclure à un accident ou à un suicide, estimant  par ailleurs que la prise en charge et l’hébergement des mineurs étaient satisfaisants.Le Défenseur des Droits a une toute autre analyse.

Il aura fallu plus de trois ans avant que Jacques Toubon ne rende sa décision, le 28 Mars dernier. L’enquête des agents du Défenseur des Droits y est minutieusement restituée. Elle salue en préambule le respect du droit à la mise à l’abri inconditionnelle des personnes se disant mineures et non accompagnées, malgré l’augmentation du nombre des jeunes exilés. En 3 ans le nombre des primo arrivants a été multiplié par 7 dans la Marne et 466 mineurs isolés, ou se présentant comme tels, ont été accueillis en vue de leur évaluation. En conséquence, constatent les enquêteurs, il n’y avait qu’un éducateur pour 15 jeunes migrants, et ils étaient par ailleurs souvent livrés à eux mêmes. Le cadre d’astreinte à la Sauvegarde le soir du décès de Denko Sissoko ne le connaissait pas, et il n’y avait pas de gardien dans l’immeuble. Le manque d’effectif ne permettait pas le repérage des signes de fragilité des jeunes garçons qui ont regretté, quand ils ont été entendus, de passer trop de temps à ne rien faire en dénonçait le manque de disponibilité des éducateurs. Manque d’accompagnement socio-éducatif, manque de lieux collectifs de convivialité, la liste des carences recensées dans ce rapport est très longue. Certaines chambres n’ont pas de douches, les fenêtres ne sont pas sécurisées. Pour le Défenseur des Droits le Foyer Bellevue est inadapté à l’accueil des mineurs. 

TENIR COMPTE DU STRESS POST TRAUMATIQUE

Concernant le bilan médical  de Denko Sissoko, il a été fait deux mois après son arrivée, alors que le protocole impose de le faire dans les 15 jours. Et le rapport indique que les jeunes confondent ce bilan avec les examens osseux utilisés pour déterminer leur âge. C’était le cas de Denko Sissoko qui n’avait pas été suffisamment informé. Deux amis du jeune malien ont indiqué qu’il ne parlait plus beaucoup la veille du drame et qu’il voulait partir. Le Défenseur des Droits préconise à ce sujet de renforcer la formation des personnels du département de la Marne en charge de l’évaluation des mineurs, à « l’appréhension des troubles psychiques et des symptômes de stress post-traumatique dans une approche ethnoculturelle ». Il recommande par ailleurs d’abandonner la formulation « ne dit pas la vérité », incompatible avec la bienveillance requise dans les rapports d’évaluation socio-éducative. L’évaluation de l’âge devrait par ailleurs « s’appuyer sur la combinaison d’un faisceau d’indices à partir d’entretiens, l’expertise radiologique ne pouvant intervenir qu’en cas de doutes persistants et en dernier recours » sur réquisition du parquet et aprés information du mineur sur ses conséquences en termes de prise en charge comme le prévoient les textes. Les jeunes sont persuadés que les résultats de l’évaluation de leur âge seraient systématiquement mauvais. C’est, précise le rapport, l’explication de l’inquiétude de Denko Sissoko. Raisons pour la quelle il est impératif de renforcer l’information des mineurs sur cette procédure et sur leurs droits, étant entendu que « le refus de l’examen osseux ne vaut pas présomption de majorité ». 

LA FAMILLE DE DENKO CONFORTÉE DANS SA PLAINTE

Trois mois après la mort de leur fils, les parents de Denko Sissoko ont déposé une plainte pour homicide Involontaire, mise en danger de la vie d’autrui, et non assistance à personne en danger. Plainte classée sans suite par le Procureur de la République de Châlons-en-Champagne. Eric Virbel précisait alors  que  » bien que pouvant être encore amélioré, le dispositif départemental de prise en charge des mineurs étrangers isolés permettait d’assurer leur prise en charge et leur hébergement de manière satisfaisante. Les nombreuses investigations effectuées ont permis de déterminer que cette prise en charge ne saurait être qualifiée de fautive  et fonder une quelconque poursuite pénale« . En Octobre 2017, la famille du jeune malien a pourtant déposé une plainte avec constitution de partie civile, dont l’instruction judiciaire est toujours en cours. Pour l’avocat de la famille Sissoko, les conclusions récentes du Défenseur des Droits confortent les éléments  qui ont motivé la plainte. Maître Emmanuel Daoud les a transmises au magistrat instructeur. Il attend que le travail rigoureux des enquêteurs du Défenseur des Droits, en tant  qu’autorité administrative patentée, fasse avancer un dossier qui stagne depuis près de 3 ans. Faute de quoi l’avocat saisirait la chambre de l’instruction.

Lire par ailleurs MIGRANTS : UNE LANCEUSE D’ALERTE SOUTENUE PAR LE DEFENSEUR DES DROITS

Monique Derrien

Reporter puis grand reporter à Radio France de 1987 à 2016. Prix du Grand Reportage de Radio France. Chronique judiciaire régulière et assidue des petits et grands procés : Chanal, Heaulme, Fourniret. Attention soutenue sur les audiences et faits de société et sur la politique, un peu. Parce qu'ils disent presque tout du monde qui nous entoure. Intérêt marqué pour la culture, la gastronomie et le champagne. Celui qui se boit et celui qui a su si bien se vendre jusqu'ici.

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